Tabac et réseaux sociaux : comment les cigarettiers ciblent les adolescents en toute illégalité

Jeux-concours, partenariats, événements exclusifs... L'industrie du tabac continue de promouvoir ses produits auprès des jeunes via les réseaux sociaux. Une enquête de l’Alliance contre le tabac (ACT) révèle des stratégies marketing insidieuses, contournant la loi pour séduire une nouvelle génération de consommateurs.
L’Alliance contre le tabac (ACT) a mené une enquête sur Instagram entre 2019 et 2024 pour analyser les méthodes de promotion utilisées par l’industrie du tabac. Malgré l’interdiction stricte de toute publicité sur les produits de nicotine en France, près de 948 publications promotionnelles illégales ont été recensées, touchant plus de 24 millions de personnes. L’objectif est clair : séduire les adolescents et normaliser la consommation de nicotine.
Les cigarettiers investissent les réseaux sociaux en utilisant les codes culturels des jeunes : jeux-concours, influenceurs, événements musicaux et hashtags viraux. Selon l’ACT, 229 influenceurs ont participé à des campagnes indirectes pour des marques comme Vuse, VELO et Blu, appartenant aux géants du tabac British American Tobacco (BAT) et Imperial Brands.
Des pratiques interdites mais omniprésentes
Depuis la loi Veil de 1976 et la loi Evin de 1991, la publicité pour le tabac est strictement encadrée en France. En 2016, l’interdiction a été étendue aux dispositifs de vapotage, et la loi du 9 juin 2023 a renforcé l’encadrement des influenceurs en leur interdisant de promouvoir des produits de nicotine. Pourtant, l’ACT révèle que les cigarettiers contournent ces interdictions en usant de plusieurs stratagèmes :
- Le sponsoring d’influenceurs : de nombreux créateurs de contenu reçoivent des produits gratuitement ou sont rémunérés pour en faire la promotion sans mentionner qu’il s’agit de publications sponsorisées.
- L’association à des valeurs positives : les publications insistent sur l’image de réussite, de convivialité et d’amusement pour normaliser la consommation.
- L’organisation de jeux-concours : des consoles, enceintes ou casques audio sont mis en jeu pour inciter les jeunes à interagir avec la marque.
- La présence dans des événements culturels et musicaux : certaines marques invitent des influenceurs à des festivals ou soirées pour créer une connexion émotionnelle entre leurs produits et un univers festif.
Des stratégies rodées pour recruter de nouveaux consommateurs
Les jeux-concours, très utilisés depuis 2023, permettent aux marques de capter l’attention des jeunes via des hashtags dédiés (#etçapicote, #VeloToujoursAvecVous) et des publications colorées. L’ACT a identifié 214 posts liés à British American Tobacco, touchant plus de 114.000 personnes.
Les influenceurs jouent également un rôle clé. Sur 229 créateurs de contenu impliqués, la majorité sont des nano et micro-influenceurs (1.000 à 20.000 abonnés). Leur proximité avec leur audience leur permet de crédibiliser la promotion de ces produits. Certains, pourtant non-fumeurs, sont sollicités pour tester et recommander ces produits.
Autre méthode : l’association du tabac aux événements musicaux et culturels. En 2020, la marque Blu a invité 52 influenceurs à des soirées et concerts, relayant ainsi l’image d’un produit tendance et festif. Des figures médiatiques, comme @Dylanthiry (1,7 million d’abonnés) ou @Jeromeniel (1,5 million d’abonnés), ont ainsi contribué, volontairement ou non, à rendre ces produits attractifs auprès d’un jeune public.
Face à l’urgence, l’ACT réclame des sanctions plus sévères
"Il est scandaleux que les cigarettiers contournent impunément la loi pour promouvoir leurs nouveaux produits de la nicotine. Sous couvert d’un prétendu message de promotion d’un 'monde sans fumée', leur véritable objectif est d’attirer les plus jeunes et de les rendre accros à la nicotine. D’après notre dernière enquête, 30% des 13-16 ans ont déjà entendu parler des sachets de nicotine, et 38% affirment qu’ils seraient prêts à les essayer après avoir vu des personnes les utiliser sur les réseaux sociaux ! Il est grand temps de mettre un terme au cynisme des industriels", appelle Marion Catellin, directrice de l'Alliance contre le tabac.
Pour lutter contre ces dérives, l’ACT appelle les autorités à interdire totalement la commercialisation des sachets et billes de nicotine, à renforcer le contrôle et l’application des lois existantes sur la publicité des produits du tabac et du vapotage et à augmenter les sanctions, actuellement plafonnées à 100.000 euros d’amende pour le vapotage et 300.000 euros et deux ans de prison pour la promotion illégale de nicotine.