Mesure "arbitraire" ou "respect de l'Etat de droit" : les questions autour de l'interpellation d'Eric Drouet
Le "gilet jaune" Eric Drouet est sorti de garde à vue jeudi après-midi, après avoir été interpellé mercredi soir à Paris pour organisation d'une manifestation sans déclaration préalable. Ce que contestent les défenseurs du militant.
EDIT - Eric Drouet est sorti de sa garde à vue jeudi, vers 16h30. Il sera convoqué par la justice le 15 février. Il devra répondre du chef d'"organisation d'une manifestation sur la voie publique sans autorisation", aussi bien pour les faits de mercredi soir que de ceux du 22 décembre.
Pour la deuxième fois depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", Eric Drouet, l'une de ses figures fortes, a été arrêté par les forces de l'ordre, mercredi soir à Paris . Ce chauffeur routier de 33 ans, très actif et suivi sur les réseaux sociaux, se trouvait en compagnie de plusieurs dizaines de compagnons, non vêtus de gilets jaunes, comme lui.
Cette interpellation a fait bondir ses soutiens, ainsi qu'une partie de la classe politique - Jean-Luc Mélenchon en tête - pour qui cette réaction des autorités n'est en rien justifiée. Du côté de la majorité en revanche, on soutient que cette arrestation était nécessaire dès lors que cette manifestation n'avait pas été déclarée préalablement. C'est d'ailleurs là que se concentre la différence d'interprétation entre autorités et soutiens d'Eric Drouet, car ce dernier prétend qu'il ne manifestait pas. Explications.
Que faisait Eric Drouet près des Champs-Elysées mercredi soir ?
Dans une vidéo live publiée mercredi sur Youtube , Eric Drouet appelait à "choquer l'opinion" le soir-même avec une action sur les Champs-Elysées. "On va pas faire une grosse action mais il faut choquer l'opinion publique. Je ne sais pas si certains d'entre vous seront sur les Champs. Il y aura des médias. Ça va être une grosse action", annonçait-il. "On va tous y aller sans gilet, comme la semaine dernière. (…) Nous, on compte aller là où on veut. Je ne vais pas le dire sur le truc ici. Mais on va y aller en mode pacifique. On va aller déposer des bougies pour ceux qui sont blessés ou décédés. Et vous verrez, par les médias ou le direct que je ferai, qu'ils ne voudront pas du tout qu'on le fasse", avançait le militant.
Comme annoncé dans sa vidéo, Eric Drouet se trouvait donc mercredi soir sur la place de la Concorde, à deux pas des Champs-Elysées et à quelques centaines de mètres de l'Elysée, en compagnie d'une centaine de personnes - des "gilets jaunes" qui n'en portaient d'ailleurs pas - pour y déposer des bougies et se recueillir en mémoire de leurs camarades décédés depuis le début du mouvement.
Et à la sortie de sa garde à vue jeudi soir, Eric Drouet a laissé entendre qu'il avait prémédité son arrestation, lors d'une vidéo de questions/réponses avec des internautes sur Facebook Live. "Tu penses que maintenant qu'ils t'ont pris pour le plus gros porte-parole, ils font exprès de te mettre en garde à vue juste pour attirer la haine du peuple ?", interroge un internaute. "Je dirais que c'est plus nous qui avons fait ça. Mercredi dernier, on savait ce qu'ils ne voulaient pas qu'on fasse même si c'était autorisé donc on a joué de ça cette semaine. On voulait montrer au reste des Français qu'on n'était pas libres." Il a également ajouté qu'il se lançait dans une "guerre des médias", se disant prêt à passer quelques heures en garde à vue pour "plomber un peu l'image" des forces de l'ordre.
Comment s'est déroulée son interpellation ?
L'arrestation d'Eric Drouet s'est déroulée entre la place de la Madeleine et la place de la Concorde. Sur une vidéo publiée sur Twitter par un journaliste, on voit le militant, saisi par plusieurs membres des forces de l’ordre, être embarqué dans un véhicule de police, sous les huées de plusieurs personnes réclamant qu'il soit relâché.
Ça chauffe, des CRS tentent d'arrêter Eric Drouet parmi les manifestants pic.twitter.com/93xlaKmxZM
— Benjamin Mathieu (@BenjMathieu) 2 janvier 2019
Il a depuis été placé en garde à vue sur demande de la Préfecture de police de Paris. Le parquet a validé ce placement en garde à vue qui peut durer au maximum 24 heures pour ce type de délit, passible de six mois de prison et 7.500 euros d'amende.
Son arrestation était-elle justifiée ?
L'article 403-9 du Code pénal sanctionne effectivement le fait d'organiser une manifestation non déclarée. C'est sur cet article que se basent les autorités pour justifier l'interpellation et le placement en garde à vue du porte-voix controversé des "gilets jaunes". La vidéo postée par Eric Drouet dans la journée a servi de communiqué d'annonce à l'adresse de ses sympathisants, qui l'ont donc rejoint le soir-même près des Champs-Elysées. "Ça s'appelle le respect de l'État de droit. Quand quelqu'un organise une manifestation alors qu'elle n'est pas déclarée, c'est qu'il ne respecte pas l'État de droit", a justifié le ministre de l'Économie Bruno Le Maire sur France Inter .
Mais selon l'avocat du gardé à vue, Me Kheops Lara, l'arrestation d'Eric Drouet est "injustifiée" et "arbitraire", Dans sa vidéo, Eric Drouet semblait d'ailleurs s'être renseigné auprès de son conseil sur ses droits. "Ce soir, il faut mettre l'accent sur le pacifisme. On n'a pas de gilets, on ne vient pas manifester, on ne vient pas bloquer. On reste sur les trottoirs, sur les passages piétons. Mais par contre, on va où on veut. S'ils veulent prendre ma pièce d'identité, je la leur donne, et je me casse. Ils n'ont plus jamais à m'arrêter ou quoi que ce soit. La semaine dernière, on n'a rien osé parce qu'on ne connaissait pas nos droits par rapport à l'attroupement. Maintenant, on est bien au courant. Et cette semaine, ça va être autrement", promettait-il.
Un argumentaire que les autorités considèrent comme une provocation, de la part d'un homme qui avait appelé à "marcher" sur l'Elysée, déjà arrêté lors de l'"acte 6" des manifestations parisiennes pour "port d'arme prohibé" - un bâton selon lui, une matraque selon les forces de l'ordre - et qui sera jugé le 5 juin en correctionnelle.
Côté majorité, Ilana Cicurel, membre du bureau exécutif de La République en marche, a dénoncé sur LCI le "jeu pervers dans lequel tout le monde rentre, où 'je fais tout pour être interpellé, et au moment où je suis interpellé, je crie à l'abus de droit'".