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Anaïs Huet , modifié à
Devenir entrepreneure n'est pas chose aisée. Encore moins quand on reprend une société bâtie par son propre père. Laure en a parlé à Olivier Delacroix, mardi sur Europe 1.
VOS EXPÉRIENCES DE VIE

Quand elle n'avait que 18 ans, Laure a intégré l'entreprise de transport et logistique créée par son père. Avec le temps, elle a même fini par en reprendre la direction… et son lot d'aléas. Elle a raconté son expérience à Olivier Delacroix, mardi sur Europe 1.

"Mes parents ont commencé de rien. Pour eux, cette entreprise de transport et logistique, c'était le centre de leur vie. Ils ne vivaient que par leur travail.

Mon père s'est mis à son compte en 1965. Puis, maman l'a aidé. C'est un couple très uni, ils ont avancé tous les deux. Avec le temps, ma sœur a commencé à travailler dans l'entreprise, puis moi, parce que j'étais la cadette, puis le mari de ma sœur… Ça a très vite été une affaire familiale. Comme je dis souvent, je suis tombée dans la bassine quand j'étais toute petite. 

Entendu sur europe1 :
C'est vrai que ma famille ne m'a pas trop laissé le choix. Mais mon père était ravi de travailler avec ses filles

Au départ, je voulais être prof de gym. Quand on m'a dit que pour cela, il fallait faire un bac C, j'ai dit que ça ne m'intéressait pas finalement. Ma sœur travaillant déjà dans l'entreprise, je me suis dit pourquoi pas. J'ai fait une formation, et à 18 ans, mon père m'a dit que ce serait bien de venir travailler maintenant. Moi, j'aurais bien continué un petit peu mes études. Mais il m'a dit : 'Non, non… Tu vas apprendre sur le terrain'.

À l'époque, ma sœur s'occupait de l'exploitation avec les chauffeurs. Mon père a dit que ma sœur allait apprendre un autre secteur, celui de la comptabilité. Et moi, qui sortais de l'école, je devenais responsable de chauffeurs. J'en avais dix sous ma responsabilité. Ils avaient en 40 et 50 ans et avaient de la bouteille. Moi j'avais 18 ans et j'étais la fille du patron, alors vous pouvez imaginer ce qui s'est passé…

>> De 15h à 16h, partagez vos expériences de vie avec Olivier Delacroix sur Europe 1. Retrouvez le replay de l'émission ici

L'aventure a commencé comme ça. C'est vrai que ma famille ne m'a pas trop laissé le choix. Mais mon père était ravi de travailler avec ses filles. Le transport, c'est un métier d'hommes. Et heureusement ou malheureusement, il a eu deux filles. Et ses deux filles ont fait ce métier d'hommes.

Entendu sur europe1 :
C'est quand même compliqué de prendre la suite d'un personnage comme mon père, qui m'a tout appris

Quand j'ai eu 30 ans, mon père a décidé de vendre la société. Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas voulu la racheter à ce moment-là. Ça me paraissait sûrement trop important. Mon père avait eu une très belle évolution. Il avait plusieurs sociétés de transport et de logistique. J'avais certainement peur d'échouer. C'est quand même compliqué de prendre la suite d'un personnage comme mon père, qui m'a tout appris. Ça reste le patriarche.

 

On l'a donc laissé vendre, tout en restant dans l'entreprise. Je ne savais même pas si j'étais capable de faire autre chose. La personne qui a racheté la société était quelqu'un de malhonnête. En huit mois, tout s'est écroulé. Et là, je me suis dit que non, ce n'était pas possible. Mon père n'avait pas fait tout ça pour rien. J'ai pris la gérance, et à ce moment, j'ai essayé de réembaucher mon père, mais ça n'a pas fonctionné entre nous. Conflit de générations. J'ai demandé à mon père de faire le commercial, je voulais gérer à ma façon et pas à la sienne.

La génération de mon papa, qui aura 85 ans cette année, ne gérait pas le personnel comme on le gère aujourd'hui. Moi, je suis plus dans la communication, la compréhension et l'écoute, et à l'époque, ce n'était pas ça. Il a préféré partir. Ça a été très dur. Car tout ce que j'ai fait, toute ma vie durant, c'était pour qu'il soit fier de moi. Ça a vraiment été une épreuve, mais j'ai tenu parce qu'il fallait que je prenne cet envol toute seule pour que je puisse y arriver.

Entendu sur europe1 :
Il fallait que je mène mon entreprise et l'éducation de ma fille toute seule

Je ne suis pas passée loin du burn-out à ce moment. Mais je me suis battue surtout pour ma fille, qui n'avait que trois ans quand j'ai repris l'entreprise. J'ai divorcé, car mon travail impactait mon couple. Puis, mon ex-mari est décédé. Il fallait donc que je mène mon entreprise et l'éducation de ma fille toute seule.

Je me sentais un peu seule. Globalement, je crois que quand on est chef d'une petite entreprise comme les nôtres, on est toujours seul face à ses décisions, même si on est bien entouré. Parfois, on fait des erreurs évidemment, mais c'est très lourd au quotidien.

Pour être chef d'une petite entreprise, il faut vraiment avoir une part de folie en soi. J'ai un tempérament très optimiste, et c'est ce qui me pousse. Je suis battante, il ne faut pas se décourager et toujours emmener son équipe avec soi.

Aujourd'hui, j'ai transmis à ma fille le virus de l'entrepreneuriat, et la valeur du travail. Dans ma famille, on a été éduqués comme ça. On ne peut pas faire autrement que de travailler, et de travailler durement. C'est dur à porter. J'en ai payé les conséquences.

Mais si c'était à refaire, je recommencerai. C'est une aventure magnifique, qui nous fait grandir."