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Grégoire Duhourcau
Victoria a beaucoup donné pour son métier d'enseignante au point de mettre sa santé en danger. "Je me sentais un peu illégitime", confie-t-elle à Olivier Delacroix sur Europe 1.
VOS EXPÉRIENCES DE VIE

Victoria, 27 ans, a été victime de "dépendance affective" au travail lorsqu'elle était professeur. "A la fin, je pleurais tous les midis en salle des professeurs, dès que les gamins n'étaient plus là, je m'effondrais en larmes, je devenais quelqu'un que je n'avais pas envie d'être", raconte-t-elle à Olivier Delacroix sur Europe 1.

"Pendant très longtemps, dans la vie de tous les jours, j'étais très angoissée. Ça se traduisait par de grosses insomnies, par des douleurs, comme des migraines. Pendant mes études, vu le parcours que j'avais eu avant qui était un petit peu compliqué, je suis rentrée à la fac en espérant que ça allait me plaire, mais avec l'idée vraiment de réussir. Et c'est vrai que, malgré moi, chaque partiel, chaque examen, me donnait des angoisses terribles. Pourtant, je travaillais, je révisais, j'étais studieuse.

Je faisais vraiment de mon mieux pour arriver prête aux partiels. Malgré ça, j'avais toujours l'impression d'avoir raté. Quand j'avais l'impression d'avoir réussi et qu'en fait je me plantais, émotionnellement c'était super dur. Je fondais en larmes parce que j'avais eu une mauvaise note.

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"Je suis devenue professeur des écoles et c'est là où ça m'a conduit à un début de burn-out"

Je pense que ça me renvoyait inconsciemment à une peur de l'échec. La peur d'échouer, de ne pas avoir mon diplôme. Je pense que ce qui a joué aussi, c'est que depuis petite, mes parents étaient vraiment derrière moi pour ma réussite. Je voulais réussir sans redoubler, c'était super important de passer à chaque fois, si possible avec les meilleures notes possibles.

Je suis devenue professeur des écoles et c'est là où ça m'a conduit à un début de burn-out. Je dis début parce que comme je me connais, j'ai fait une longue thérapie, j'ai su reconnaître les signes au fur et à mesure donc j'ai stoppé à temps. Déjà, rien qu'à la fac, le fait que je sois si angoissée, je pense que j'avais quand même un terrain prédisposé. Ce n'est pas arrivé comme ça, par hasard.

J'ai un petit peu ressenti la notion d'usurpation, surtout dans le statut de professeur, en tant que débutante seule face à une classe, souvent, je me faisais la réflexion : 'Je ne suis pas forcément légitime d'être là. Certes j'ai eu le concours mais je ne suis pas formée.' On n'est pas du tout formés à la gestion de classe donc parfois je me sentais un peu illégitime d'être là.

"Je n'en pouvais plus, je n'avais plus de vie"

Je passais des heures tous les soirs, tous les week-ends, à bosser mes cours, à préparer mes cours en suivant au maximum les recommandations de mes supérieurs. C'était des conseils, c'était pour aller dans la bonne direction donc je suivais docilement, au maximum, en voulant bien faire. Finalement, les retours c'était à chaque fois : 'Ça, tu n'aurais pas dû le mettre ici, tu aurais dû le mettre là. Là, tu n'as pas vu qu'un tel était agité.' En gros, c'était : 'Ce que tu as fait, c'est nul.' Ce n'était pas dit comme ça mais le message c'était : 'Tout est nul, tu es à côté de la plaque et il n'y a rien de bien.'

A force de trop travailler, ça a totalement créé un déséquilibre entre ma vie personnelle et ma vie professionnelle. Ça s'est fait un progressivement parce que le premier mois, sachant que le métier de professeur est très prenant, je m'étais dit : 'Mets toi des barrières.' Je savais que ça allait potentiellement empiéter sur ma vie privée. Je n'avais plus de week-ends, je n'avais plus de soirées, je bossais de 8h à 21h tous les soirs, je n'en pouvais plus. Je n'avais plus de vie, comme beaucoup de jeunes professeurs.

Au fil des mois, ma santé physique et mentale s'est détériorée. A la fin, je pleurais tous les midis en salle des professeurs, dès que les gamins n'étaient plus là, je m'effondrais en larmes, je devenais quelqu'un que je n'avais pas envie d'être. Je n'avais pas envie de passer ma vie à aller au boulot en pleurant tout le temps. Pour la santé physique et psychologique et l'équilibre mentale, je pense que l'on peut clairement parler de mise en danger.

"Je me faisais bouffer par les enfants, ils me menaient par le bout du nez et ça commençait à mettre ma santé en jeu"

J'avais déjà entendu parler de la dépendance affective dans le couple, mais au travail je n'en avais jamais entendu parler. J'ai mis d'autres mots dessus. Je pense qu'inconsciemment, je voulais me faire aimer des enfants, j'avais du mal à poser des limites avec eux donc ils m'ont vite bouffée. Quand on travaille, d'autant plus avec des enfants, il y a une dimension affective qui est difficile. Je me faisais bouffer par les enfants, ils me menaient par le bout du nez et ça commençait à mettre ma santé en jeu.

Je me suis rendu compte que c'était de la dépendance affective au travail. A vouloir toujours contenter les supérieurs et mettre des limites aux enfants et échouer et dans l'un et dans l'autre, ça me bouffait complètement alors que ça n'aurait pas dû aller jusque là.

J'accepte les critiques. Quand c'est constructif et dit de manière bienveillante, il n'y a aucun problème. Mais vu qu'il n'y avait même pas un petit truc de bien, je pense que je cherchais à ce que l'on me dise, que ce soit de la bouche des enfants ou des adultes : 'Tu es gentille, c'est bien ce que tu fais.'

"Je me suis pris quelques mois pour me remettre physiquement, mentalement"

Aux yeux de mes parents, le métier de professeur, c'est le plus beau métier du monde, un métier hyper valorisant. Au fond, comme pour la fac, je ne voulais pas les décevoir. J'étais très fière quand j'ai eu le concours, sans savoir ce qui m'attendait derrière. Je voulais leur montrer que j'avais trouvé ma voie, que j'allais être très épanouie en tant que professeur, que j'allais réussir.

Dès que j'ai senti que ce n'était plus possible de continuer comme ça, j'ai mûrement réfléchi et j'ai donné ma démission. Je me suis pris quelques mois pour me remettre physiquement, mentalement. Pour ça, j'ai été aidée par une psychologue qui m'a suivi pendant longtemps en thérapie. On a repris le travail thérapeutique que l'on avait déjà commencé. En parallèle, j'ai aussi fait des petites séances de méditation. Ça m'a énormément aidée parce que je pense que la gestion des émotions entre beaucoup en ligne de compte dans la dépendance affective, que ce soit au travail ou même amoureuse."