Drame de Millas : pourquoi deux chiens sont présents au procès ?

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avec AFP
Pour la première fois en France, deux chiens aident simultanément les victimes et la mise en cause lors d'un procès. Rancho, un labrador noir, et Ouchi, un golden retriever, apporte leur soutien lors des prises de parole des audiences. Ce système de "chien d'assistance judiciaire" est déjà très développé en Amérique du Nord. En France, le dispositif commence à faire ses preuves dans les enquêtes et arrive depuis peu en salle d'audience.   

Dès que la prévenue pleure, Rancho pose sa tête sur sa cuisse. Au fond de la salle, un enfant est quasiment couché sur Ouchi. Pour la première fois en France, deux chiens aident simultanément les victimes et la mise en cause lors d'un procès. "Cette technique est un dispositif de soutien et ne peut être considérée comme un gadget", elle est là pour "vous permettre de supporter la charge émotionnelle de ce procès", a prévenu dès l'ouverture des débats lundi la présidente du tribunal correctionnel de Marseille, Céline Ballerini.

Rancho et Ouchi

Dans cette salle d'audience, est jugée la conductrice d'un car scolaire entré en collision avec un train en 2017 à Millas, dans les Pyrénées-orientales. Six enfants sont morts, 17 avaient été blessés. Mardi, cinq d'entre eux ont livré le récit de l'accident qui a bouleversé leur vie : le tour de magie qu'un collégien était en train de faire à une camarade juste avant le bruit assourdissant du klaxon du train, le "trou noir" puis "la solitude", les draps blancs sur les corps de leurs amis tués, les blessures qui causent encore migraines et douleurs, une amputation...

La prévenue, Nadine Oliveira, ne peut retenir ses larmes. Rancho, le labrador noir qui l'accompagne à sa demande dans les moments les plus durs, se lève chaque fois qu'il sent qu'elle en a besoin. Elle le caresse, puis ses yeux repartent vers le sol, la main cramponnée à la laisse rouge. Au fond de la salle, Ouchi, un golden retriever, est lui à la disposition des victimes. Mardi, il a accompagné deux adolescentes dans leur témoignage. "Il a aussi aidé deux mamans d'enfants décédés qui ont appris à l'audience leurs derniers moments", rapporte Aurore Bourcereau, directrice de l'association France Victimes de la Nièvre, venue spécialement avec l'animal.

Une demi-douzaine de chiens "d'assistance judiciaire" en France

Ce système de "chien d'assistance judiciaire" est déjà très développé en Amérique du Nord. En France, le dispositif commence à faire ses preuves dans les enquêtes et arrive depuis peu en salle d'audience. C'est la première fois qu'il est aussi mis à la disposition d'un prévenu. "Cette médiation animale libère la parole, met en confiance. C'est un dispositif de réassurance extérieure qui baisse le stress, le rythme cardiaque et donc est un facilitateur de témoignage", estime Jérôme Moreau, vice-président de la fédération France Victimes. 

Labradors et golden retrievers sont connus pour leur calme, leur sens de l'empathie et du contact avec l'humain. Ils sont une demi-douzaine formés aujourd'hui en France, dont Rancho, rattaché au tribunal de Nîmes et géré par les pompiers du Gard ou Ouchi, qui a ses attaches dans la Nièvre. La formation coûte environ 17.000 euros, selon Florian Auffret, chargé de mission recherche-développement chez l'association Handi'chiens. A Lyon, LOL est venu spécialement de Cahors (Lot) pour une enquête. Il "a apporté de la sérénité aux victimes et a pu libérer la parole au cours d'auditions extrêmement éprouvantes", souligne le président du tribunal judiciaire Michaël Janas qui a demandé que sa juridiction soit dotée d'un chien.

"L'audition n'est pas un passage facile à vivre... Dès que le chien voyait que j'étais un peu stressé, il venait spontanément au contact, se collait à moi, posait sa tête, ou sentait ma main. Je retrouvais mon calme", rapporte de son côté Eric (prénom d'emprunt), 39 ans, l'une des 30 victimes déclarées d'un homme accusé d’avoir violé et agressé sexuellement des mineurs. Le procureur de Lyon, Nicolas Jacquet envisage d'inviter l'animal à différentes étapes, "dans les locaux des services d'enquêtes, dans les bureaux des juges ou en audience publique".

L'adjudant-chef Jérôme Lapp, un des référents de Rancho, se souvient lui d'un procès en juin à Marseille où une adolescente devait témoigner face à son professeur de théâtre, jugé pour atteintes sexuelles. "La présidente avait une phobie des chiens mais elle voulait le tester avant le procès Millas et je suis tombée à la renverse de tout ce que la petite a pu dire qu'elle n'avait pas dit avant. Elle m'a dit : 'le chien m'a emmenée dans sa bulle'. Elle avait l'impression de lui parler à lui", détaille le pompier. Au bout de 2h30 d'audience, Rancho était épuisé : "Il est venu me voir et il s'est mis à ronfler en pleine audience".