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Grégoire Duhourcau
Naël, le fils de Brigitte, a rejoint un institut médico-éducatif dans lequel il a subi de mauvais traitements avant son décès. "J'ai culpabilisé, je culpabilise aujourd'hui et je crois que je culpabiliserai toute ma vie", confie-t-elle à Olivier Delacroix Europe 1.
VOS EXPÉRIENCES DE VIE

Brigitte, 58 ans, avait un fils, Naël, né polyhandicapé, qui a dû être placé en institut médico-éducatif (IME). Après avoir connu un premier centre dans lequel il se sentait heureux, il a rejoint un autre centre, qui avait été l'objet de plaintes pour maltraitance. Après une crise d'épilepsie, Naël a dû être réanimé. Brigitte raconte à Olivier Delacroix sur Europe 1, qu'après cet événement, "le directeur du centre a eu une phrase terrible : 'Si on l'a fait réanimer, c'est parce que vous y teniez.'"

"Dans son premier centre, il était très, très épanoui. Il faisait du cheval, de la piscine, de la cuisine, des sorties, de la musique. C'était un petit garçon qui avait la joie de vivre, malgré le fait qu'il soit polyhandicapé. Il ne parlait pas mais il vous montrait dans ses yeux qu'il était très heureux.

[Mais son état s'est dégradé et il a fallu lui trouver un centre plus adapté à ses besoins.] On habite dans le Lot-et-Garonne et c'est un département qui n'est pas très bien pourvu, donc il faut envoyer les enfants un peu loin. J'ai eu beaucoup de mal et les parents ont beaucoup de mal à trouver un centre adapté au polyhandicap dans notre région.

 

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"On m'a dit : 'Allez-y les yeux fermés, il sera super bien traité'"

Quand il y a une demande de prise en charge, on vous attribue un centre. Donc je suis allée chercher sur internet et j'ai vu qu'il y avait eu des plaintes pour maltraitance [contre le centre qui m'avait été attribué]. Je suis retournée à la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées, ndlr) et je leur ai dit : 'Je ne veux pas que mon fils aille là, il n'en est pas question.' On m'a répondu textuellement : 'Allez-y les yeux fermés, ce sont des amis. Il sera super bien traité. Tout ce qu'on a écrit, ce ne sont que des menteuses.'

Quand vous êtes un parent lambda et que l'on vous dit que ce n'est pas vrai, on se dit : 'Allons-y.' J'y suis allée, j'ai fait une première visite où j'ai été agréablement surprise. Je me suis dit : 'Ça ressemble étrangement à là où il était donc on y va.'

Naël est entré dans ce centre parce qu'il était nourri par gastrostomie, c'est une tubulure qui est reliée à l'estomac et il est nourri par une poche de nourriture. C'est comme une perfusion, mais à l'estomac donc on n'a pas besoin de ses dents. Un jour, Naël tombe de son fauteuil et se casse une dent devant donc je dis : 'Il faut l'emmener chez le dentiste.' Et là, on me répond : 'Pour quoi faire ? Il ne mange pas.'

Il y a eu la dent cassée, après j'ai retrouvé le fauteuil de Naël avec du produit de nourrissage, je n'aime pas le mot mais c'est comme ça que l'on dit, qui était passé entre la coque et le fauteuil. C'était moisi. C'est-à-dire que l'on ne nettoyait jamais le fauteuil. Après, alors que Naël allait voir son neuropédiatre à Bordeaux tous les ans, il y a eu le refus total d'aller à Bordeaux. Il a fallu que je m'énerve et que ce soit moi qui prenne rendez-vous pour qu'ils l'envoient à Bordeaux pour faire ses examens annuels. Là, je l'ai envoyé chez le dentiste et la dentiste est entrée dans une colère noire. Il n'y avait aucune hygiène buccale.

"Pendant une heure, les 80 enfants, dans les trois bâtiments, étaient seuls"

Dans ce centre, il n'y avait pas assez de personnel de jour, je m'en étais rendu compte. Il n'y avait que deux éducatrices pour tout le groupe d'enfants et elles faisaient tout. C'est-à-dire qu'elles s'occupaient des enfants mais elles passaient aussi leur temps à plier le linge, à aller chercher le linge sale, etc. Ce n'est pas leur travail normalement. Naël faisait des crises d’épilepsie quand il s'endormait. Il en a fait une en 2010 et le bol alimentaire est passé dans les poumons et il a fallu le réanimer. C'est là que j'ai appris qu'il n'y avait qu'une seule infirmière la nuit, qui arrivait à 20h alors que l'équipe de jour partait à 19h. Pendant une heure, les 80 enfants, dans les trois bâtiments, étaient seuls.

Ils l'ont réanimé, ça s'est passé dans la soirée et moi, je n'ai été prévenue que le lendemain matin. Là, le directeur du centre a eu une phrase terrible en me disant : 'Si on l'a fait réanimer, c'est parce que vous y teniez.' Sur le moment, ça m'a choquée mais c'est après que j'ai réalisé l'importance de cette phrase.

"Mes enfants n'arriveront jamais à me faire comprendre que ce n'est pas ma faute"

[Naël est finalement décédé.] Tout s'est enchaîné. Ça a commencé à Pâques 2010. J'ai appris la veille du mariage de ma fille que mon fils était en soins palliatifs, c'était en août. Il a tenu jusqu'en janvier 2011. J'ai culpabilisé dès que j'ai su, je culpabilise aujourd'hui et je crois que je culpabiliserai toute ma vie. Je suis sa mère, je devais le protéger. Mais cette responsabilité a éclaboussé ma famille aussi. Mes enfants m'ont vue mal. Quand Naël est parti, si je n'avais pas eu les enfants qui m'ont soutenue... Ils ont essayé de me faire comprendre, je dis bien essayé parce qu'ils n'arriveront jamais à me faire comprendre que ce n'est pas ma faute."

>> Retrouvez l'intégralité du témoignage de Brigitte ici.