Sacha, 42 ans, ne s’est jamais senti en phase avec le stéréotype de l'homme viril : "Ma virilité s'est improvisée, elle s'est construite sur l'absence de modèles"

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Romain David , modifié à
Au micro d'Olivier Delacroix, sur Europe 1, ce père de famille explique comment sa vie conjugale et sa relation à ses enfants lui ont permis de construire une virilité à la marge des clichés qui ont bercé sa jeunesse.
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Sacha, 42 ans, est père de deux enfants. Élevé par des parents qu'il décrit comme "étranges", il confie avoir entretenu pendant son adolescence un rapport complexe avec la virilité, ne se reconnaissant pas dans les stéréotypes des années 1970-1980-1990. Comme il l'explique à Olivier Delacroix, sur Europe 1, c'est à travers sa vie de couple et la parentalité qu'il a fini par développer sa propre idée de la virilité.

"J'ai été élevé par un couple un peu étrange, mon père étant totalement absent et indifférent à ma présence, et ma mère étant fusionnelle avec moi. […]

Je représentais tout pour elle et, quand on est un enfant, il est difficile de tout représenter pour quelqu'un. On n'est pas préparé à ça. […]

La construction de la masculinité chez moi s'est faite sans modèle réel, et je me suis senti un peu lâché dans le vide à l'adolescence, sans exemple.

 

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Sacha ne s'est jamais identifié aux figures du cow-boy, du flic sans peur et sans reproche ou du bodybuilder, longtemps présentés comme des modèles de virilité.

Je me sentais sans défense, j'étais comme stupéfait par le climat d'agressivité que l'on peut avoir dans une cour de primaire ou de collège. J'avais l'impression de ne pas être à la hauteur, de ne pas savoir répondre, d'accuser le coup systématiquement et de ne pas arriver à défendre mon territoire comme j'aurai pu, comme j'aurai dû le faire.

[…]

J'ai l'image des westerns de mon enfance où l'on voit le personnage accoudé au bar et, d'un coup, les Bandidos qui arrivent, le cernent à sept. Tout le monde est terrorisé, mais lui garde son sang-froid, termine sa clope tranquillement et négocie avec le chef. C'était la notion du contrôle que l'on pouvait avoir à l'époque. Aujourd'hui, on n'attend plus ça d'un homme. On attend des capacités de négociation, de discussion, une ouverture aux émotions aussi.

[…]

La virilité d'aujourd'hui est composite, moins frontale. C'est plus une virilité de responsabilité et de contrôle de sa vie.

[…]

À la naissance de ses enfants, Sacha a craint que son rapport conflictuel à la virilité puisse peser sur son rôle de père.

Ma virilité s'est improvisée, elle s'est construite sur l'absence de modèles et en opposition. Ce qui m'a posé des difficultés quand je suis devenu père, parce qu'il a fallu construire cette parentalité, à partir de fragments, de rien, dans quelque chose de très improvisé, de très libre.

Ce que j'ai hérité de ma mère, c'est la sensibilité, le sens de l'écoute des autres. C'est quelque chose qui aujourd'hui, je pense, est valorisé davantage. Je suis quelqu'un qui écoute, qui sait dialoguer, qui sait déminer des situations. J'ai su construire ces qualités là sur ce terreau d'étrangeté familiale.

Aujourd'hui, Sacha assimile sa virilité à sa capacité à garder le contrôle sur le cours de sa vie, mais aussi à ce qu'il peut apporter de bénéfique aux autres, et en particulier à ses enfants.

Ma femme est une personne extrêmement responsable, j'allais dire 'masculine' dans sa façon d'aborder et de contrôler la situation familiale. […] C'est un peu une conquête. Ça l'est moins aujourd'hui parce que l'on est ensemble depuis 13 ans. On a trouvé un équilibre, mais ça a été l'objet d'âpres discussions puisque l'on est finalement un couple où la polarité parait un peu inversée par rapport à ce que l'on appelle 'la normalité'.

Je me sens viril quand je peux apporter quelque chose de positif à mes enfants, quand je peux leur donner un son de cloche différent de leur mère, quand j'ai l'impression d'apporter une complétude à leur éducation. Je me sens viril quand je me sens en contrôle de ma vie. C'est difficile à expliquer, c'est une sensation qui est quasiment physiologique, physique. Je me sens ancré dans ma vie quand j'ai le contrôle de mes décisions, quand j'assume un projet professionnel de A à Z en prenant les bonnes décisions au bon moment. Là, j'ai l'impression d'être dans la masculinité de ma personne."

L'avis de l'expert

Une construction culturelle et séculaire. La virilité ne doit pas être confondue avec la masculinité. Quand la première résulte d'une caractéristique physique, la seconde est d'abord le fruit d'une construction culturelle très ancienne, comme le rappelle à Europe 1 Olivia Gazalé auteure du Mythe de la virilité aux éditions Robert Laffont. "Il y a autant de masculinités qu'il y a de féminités. Il y a des hommes petits, des hommes danseurs… Il y a autant de masculinités qu'il y a de diversité humaine", relève-t-elle. "La virilité, en revanche, c’est un idéal, un modèle normatif extrêmement contraignant qui a été théorisé et conceptualisé depuis l'Antiquité et dont nous sommes encore les héritiers."

Le fardeau de la virilité. Pour cette philosophe, les stéréotypes qui ont construit la virilité, et qui n'ont guère changé depuis l'Antiquité, nourrissent de nombreuses discriminations sexuelles. "La virilité est un idéal contraignant parce qu'il impose à chaque homme la maîtrise, la domination, la force, et tout un tas d'injonctions qui sont très pesantes, mais ce sont aussi des injonctions discriminatoires car tous les hommes qui ne sont pas porteurs de cette virilité ont toujours été rejetés", relève-t-elle. "Le mythe de la virilité n'est rien d'autre que le postulat de la hiérarchie des sexes", conclut Olivia Gazalé.

>> Retrouvez l'intégralité du témoignage de Sacha.