Aude : la vigilance rouge a-t-elle été déclenchée assez tôt ?

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Le département de l'Aude a été placé en vigilance rouge lundi matin à 6 heures, alors que des pluies torrentielles tombaient déjà depuis le milieu de la nuit.
ON DÉCRYPTE

Trois mois de pluie tombés en seulement quelques heures. La région de l'Aude a été frappée par de violents orages et de graves inondations, dans la nuit de dimanche à lundi, provoquant la mort d'au moins dix personnes et des scènes de désolation dans plusieurs villages, pour certains coupés du monde. La catastrophe a surpris plusieurs habitants dans leur sommeil, alors que le département ne se trouvait qu'en vigilance "orange" : le stade "rouge", le plus élevé de l'échelle mise en place par Météo France, n'a été activé qu'à six heures du matin. "Je ne connais pas par cœur le processus de déclenchement de cette vigilance, mais en l’occurrence, cette nuit, au vu du témoignage de certains habitants, elle a été déclenchée trop tard", a estimé le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Frédéric de Lanouvelle, lundi après-midi sur LCI. 

Quelle est la différence entre vigilance rouge et orange ?

Elle est importante. Selon le système de Vigilance météorologique, mis en place par Météo France après les tempêtes meurtrières de 1999, une carte est actualisée au moins deux fois par jour, à 6 heures et 16 heures, pour signaler les éventuels phénomènes dangereux. Consultables sur les sites Internet et les applications mobiles mais aussi par téléphone, ces cartes doivent permettre à la population d'anticiper les perturbations à venir : les prévisions sont accompagnées d'une liste des précautions à prendre pour se protéger. L'échelle comprend quatre couleurs (vert, jaune, orange et rouge), pour neuf types de phénomènes météorologiques, de la canicule à la neige en passant par les pluies-inondations.

La vigilance orange porte sur les "phénomènes dangereux", tandis que la rouge annonce des "phénomènes d'intensité rare". La seconde est beaucoup plus rare que la première : au 20 mars 2018, elle n'avait été activée que 28 fois, en majorité pour de fortes pluies. Une circulaire adressée aux préfets, datant de 2011, précise que "le niveau orange n'est en aucun cas le niveau de pré-alerte du niveau rouge". Ce dernier leur impose en revanche de mettre en place un dispositif plus contraignant, avec "l'alerte systématique des maires et des services opérationnels".

Matinale spéciale en direct de Villegailhenc, mardi sur Europe 1

De 7h à 9h, Nikos Aliagas recueillera les témoignages des habitants, des secouristes et des élus, ainsi que les réactions des auditeurs depuis ce village de l'Aude, durement touché par les inondations.

Qui décide du déclenchement d'une vigilance ?

Météo France, en collaboration avec, notamment, la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises - dépendant du ministère de l'Intérieur -, et la Direction générale de la prévention des risques - dépendant du ministère de l'Environnement. Mais plusieurs cas ont déjà fait débat par le passé, pour des raisons différentes. En octobre 2015, alors que de violentes précipitations avaient fait 20 morts sur la Côte d'Azur, Christian Estrosi, alors maire de Nice, s'indignait sur Europe 1 que l'alerte rouge n'ait pas été déclenchée. "Avec ce qui s'est passé cette nuit, on se contente de nous dire que nous serions en alerte orange ?", interrogeait-il, rejoint par le président du conseil départemental des Alpes-Maritimes Eric Ciotti : "c'est la vigilance rouge qui aurait dû s'imposer."

En octobre 2014, le cas inverse s'était produit dans l'Hérault, placé en alerte rouge malgré de faibles précipitations. "Il fallait déclencher le rouge par rapport au potentiel. La nature a fait que ça ne s'est pas avéré après coup", justifiait alors le délégué départemental Météo France, cité par Midi Libre.

Que s'est-il passé dans l'Aude ?

Dans la nuit de dimanche à lundi, "les modèles météorologiques ont commencé à montrer des signaux d'alerte vers 3 heures du matin", explique Emma Haziza, hydrologue et présidente du Centre de recherche Mayane sur la gestion des risques inondations, interrogée par Europe 1 lundi. "Les gens dormaient, ils se sont retrouvés face à des vagues de submersion qui ont traversé tous les territoires, croisées à une activité électrique extrêmement forte", décrit la spécialiste. "On était vraiment dans une situation majeure". Et d'estimer qu'"à l'heure du 2.0, il va peut-être falloir commencer à se poser des questions" quant aux mécanismes d'alerte face à un risque d'épisode méditerranéen "qui est extrêmement connu".

Car la fameuse vigilance rouge n'a été activée que trois heures plus tard. "Il s'agissait de pluies très intenses, sur une zone géographique très limitée, d'un ordre de grandeur de 20 à 30 km, et la prévisibilité de ce genre de stationnarité est très limitée", justifie auprès d'Europe 1 Etienne Kapikian, prévisionniste à Météo France. "Pour entrer en vigilance rouge, il faut être sûrs et bien mesurer l'ampleur du phénomène. Car il y a aussi le risque de la surestimation." Le spécialiste soulève en outre que la vigilance orange prévoit déjà des contacts entre Météo France et la protection civile, notamment en termes de transmission des cumuls de pluie. "Les secours étaient au courant qu'il se passait quelque chose", estime-t-il. "Mais la population, c'est autre chose."

La question sous-jacente concerne "l'orange", plus fréquemment déclenché : a-t-il conservé une valeur d'alerte aux yeux des habitants des zones concernées ? "Il le faut", souffle le prévisionniste, qui rappelle que les consignes correspondant à chaque niveau d'alerte sont largement diffusées par Météo France. Frédéric de Lanouvelle s'est lui montré moins convaincu, reconnaissant une "fragilité" autour de l'avant-dernier degré de vigilance, "très souvent utilisé" : "Quand il y a un vrai problème, les gens n'en tiennent plus compte."