Alcoolique depuis 10 ans, Anthony vient de s'en sortir

  • Copié
Après 10 ans d'alcoolisme, Anthony s'en est sorti. Dans "La libre antenne" de Sabine Marin sur Europe 1, il livre un témoignage poignant, à cœur ouvert, et raconte son parcours. Un chemin qui l'a mené au plus bas, avant de remonter la pente.
TÉMOIGNAGE

>> Tous les soirs dans la Libre Antenne d'Europe 1, les auditeurs se confient et témoignent. Une difficulté, une mauvaise passe ou un moment de bonheur, notre Libre antenne est avant tout la vôtre. Au micro de Sabine Marin ce soir-là, Anthony a choisi de raconter son histoire, son combat contre l'alcool, un adversaire qu'il a vaincu après dix ans de lutte.

"Je viens pour parler d'alcoolisme, un sujet qui revient souvent dans cette émission. Je suis en train de m'en sortir. J'ai été très loin dans cette addiction, j'ai commencé il y a 10 ans, à 29 ans, et je suis en train de m'en sortir. J'ai bu raisonnablement depuis que je suis adulte, tout allait très bien. Mais à 29 ans, mon ex-épouse et moi avons eu du mal à avoir un enfant. Ça a été la source de mes problèmes avec l'alcool. Notre gynécologue avait un discours assez particulier : il fallait avoir des enfants jeunes. Passé 35 ans, c'était trop tard. Et quand on a changé de spécialiste, on est tombés sur un monsieur très agréable, proche de la retraite et très à l'écoute dans une clinique près de Brest.

"J'ai commencé à boire de l'alcool à 90°"

Il nous a écoutés, a fait des examens sur ma fertilité, sur la fertilité de madame, et on s'est rendu compte que tous les deux ans avaient des problèmes à ce niveau. Comme c'était un peu mal barré pour avoir un enfant, on est passé par des inséminations. Ça a été très difficile, on a passé quatre ans à faire des fausses couches, des examens négatifs qui plombent le moral. J'ai eu du mal à le supporter, tout comme ma femme. À chaque insémination négative, c'était des grosses crises de pleurs pendant plusieurs jours.

C'était très dur à encaisser, mais j'ai essayé d'être un mari présent. J'ai fait ce que j'ai pu, mais j'ai commencé à boire, au départ devant elle. On avait l'habitude de prendre un verre ensemble le soir, et puis ça a progressivement augmenté : je me suis mis à boire, mais en cachette. Ça me soulageait, j'étais bien après avoir bu un verre ou deux cul sec. Je pouvais ensuite rentrer à la maison boire avec ma femme normalement.

J'ai mis très longtemps à me rendre compte que je buvais en cachette, au moins jusqu'à mes 35 ans. Mais entre-temps nous avions acheté une maison et eu un enfant, un fils, de manière naturelle en plus. Malheureusement je suis divorcé, surtout à cause de l'alcool, mais j'ai un fils, c'est ma merveille. Tous les gens qui ont des enfants diront ça.

Mais pour revenir à l'alcool, je ne me suis pas rendu compte, jusqu'à mes 35 ans, que je me cachais pour boire. Et c'est ma femme qui a commencé à me faire des remarques, à me dire 'un troisième verre ?'. Mais ces remarques me passaient au-dessus de la tête, vraiment. Elle aurait pu me cacher le cubi de vin, j'aurais été le chercher directement.  Je ne me rendais pas compte, j'étais dans le déni. Et puis, j'ai trouvé un nouveau poste en CDI comme préparateur en pharmacie à Brest et j'ai commencé à boire de l'alcool à 90°. À l'époque, on pouvait en vendre dans les pharmacies, maintenant c'est interdit.

J'en ai bu tous les jours pour me calmer, je commençais ma journée de travail en buvant un gobelet d'alcool à 90° coupé à l'eau. J'en avalais une dizaine sur la journée, en travaillant, autant dire que j'étais bourré du matin au soir. Mes collègues l'avaient surement remarqué, sans rien me dire.

"Bourré du matin au soir"

Une seule et unique fois où je me suis disputé avec mon employeur sur un sujet tout autre il m'a répondu 'de toute façon, vous avez d'autres problèmes' donc je pense qu'il faisait référence à ça. Je n'ai pas continué la conversation parce que je n'étais pas en état de toute façon, même à 11h du matin. J'ai eu également quelques remarques de clients aussi, mais j'ai continué. J'ai été évidemment viré, pour un motif tout à fait banal, mais je pense que l'alcool se cachait dessous. J'ai accepté la rupture conventionnelle, et je me suis retrouvé au chômage pendant trois ans, à boire quatre litres de vin par jour, tous les jours. Et le week-end c'était une bouteille, une bouteille et demie de Ricard, en plus du vin. Autant dire que ma femme ne me parlait quasiment plus.

Et la naissance de mon fils ne m'a pas arrêté, parce que j'ai eu très peur parce que je n'avais la charge de quelqu'un d'autre que moi-même. J'ai été arrêté pendant un mois à sa naissance parce que j'ai eu très peur de ce qui allait arriver. Il ne dormait pas, il avait des coliques… et moi qui étais un gros dormeur, je ne dormais plus. J'ai eu peur de lui quand il est arrivé, malgré la grosse attente, et j'ai bu encore plus que d'habitude. Alors forcément, quand on atteint ce niveau c'est difficile psychologiquement. Mais physiquement j'ai plutôt de la chance, je ne suis pas marqué. Je fais partie d'un groupe qui s'appelle Vie libre, qui est un peu comme les Alcooliques anonymes, mais simplement moins connu. Les adhérents ont fait remarquer que j'avais de la chance, que je n'étais pas marqué par l'alcool à 39 ans : je ne suis pas rouge, je n'ai pas de rides…

Mais intérieurement c'est autre chose, je reste très marqué par cet épisode, par mon divorce, j'étais très amoureux de ma femme, on est séparé physiquement par le juge. Mon épouse s'en prenait physiquement à moi parce qu'elle en avait marre de me voir bourrer du matin au soir. Ça allait très mal, et j'ai perdu mon fils… Les séquelles sont également importantes à ce niveau-là parce que je reste très déprimé. J'ai un traitement qui est maintenant très allégé par rapport à ce que j'ai pu avoir il y a presque un an de ça. Je prends un tout petit peu anxiolytique et un antidépresseur, donc ça reste quand même très léger pour un alcoolique sévère. Et j'ai mis des photos de mon fils, Raphaël, partout dans mon nouvel appartement et ça m'aide beaucoup.

Une association et un suivi pour s'en sortir

Aujourd'hui encore, je me demande comment je suis sorti vivant de mon alcoolisme. Et c'est le président de l'association Vie Libre, dont je fais partie, qui m'a soutenu même quand je buvais, que j'étais incapable d'articuler trois mots.

Une aide qui a emmené deux déclics : le premier est un accident sous alcool ou je me suis cassé la clavicule. J'avais 2,7 grammes à un kilomètre de chez moi, je sortais d'un bar. Et le second, c'est un mois et demi quand j'ai retrouvé un travail à 400 mètres de chez moi. Mon père m'a dit d'ailleurs que depuis il me trouvait changé. Le pauvre en a vu de toutes les couleurs, il m'a trouvé alcoolisé, complètement défoncé à la maison. Je vivais chez lui et il m'a trouvé de nombreuses fois le matin à 11h déjà bourré. Il ne savait pas quoi faire, il a été gentil, méchant, m'a emmené à l'hôpital… Il a été extraordinaire.

Après avoir été en invalidité pendant 3 ans, il était temps d'arrêter les bêtises. Je ne pensais vraiment pas retrouver du travail. Je pensais d'ailleurs me reconvertir dans un autre milieu qui est ma passion : la pêche. J'avais même pris contact avec un pisciculteur pour faire une formation. Mais entre-temps cette pharmacienne, chez qui je m'étais déjà rendu comme client, m'a embauché en CDI à temps plein. Mais je ne suis pas seul, je suis suivi par un psychiatre et un psychologue. Et puis je parle aussi beaucoup plus à ma famille et je n'hésite pas à dire quand je ne vais pas bien.