Covid-19 : pourquoi le dépistage massif a un intérêt scientifique et sanitaire

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Mathilde Durand
La France lance cette semaine sa stratégie de dépistage massif du Covid-19, avec l'expérimentation au Havre et à Charleville-Mézières de tests à grande échelle sur population volontaire. Philippe Froguel, généticien au CHU de Lille, revient sur Europe 1 sur l'utilité scientifique et sanitaire de telles campagnes. 
INTERVIEW

Depuis lundi, Le Havre, en Normandie, et Charleville-Mézières, dans les Ardennes, expérimentent des campagnes de dépistage du Covid-19, afin de tester massivement la population volontaire, avant les fêtes de fin d'année. En janvier, deux autres territoires seront concernés par cette stratégie de dépistage : Saint-Etienne, en Auvergne-Rhône-Alpes, qui a entamé ce mercredi une campagne de tests à l'échelle régionale, et Roubaix dans les Hauts-de-France. Philippe Froguel, généticien au CHU de Lille, défendait cette stratégie depuis longtemps. Il fait le point sur Europe 1 sur l'utilité de telles campagnes.

Anticiper une troisième vague, faire le point sur nos outils 

"On défend l'idée depuis plusieurs mois, parce qu'on pense qu'il faut faire quelque chose. Si on ne fait rien, on va tout droit vers une troisième vague et comme on n'aura pas les vaccins en nombre suffisant très rapidement, ça va être encore une catastrophe : de nouveau confinement et beaucoup de décès", explique-t-il. "Ces tests massifs sont un moyen de mobiliser tout le monde, du gouvernement aux municipalités, ainsi que la population."

Outre l'intérêt d'identifier les porteurs asymptomatiques, Philippe Froguel voit également dans ces campagnes massives un moyen de faire "progresser" les outils "qui n'ont pas bougé en France depuis le mois de mars". "Parce qu'en fait, il y a plusieurs façons nouvelles de faire ces tests et qu'on devrait utiliser", assure-t-il.

Du 11 au 17 janvier, une campagne de tests sera lancée à Roubaix. "Et on recommencera quinze jours ou trois semaines après", explique le généticien, selon le nombre de cas positifs détectés. Cette dernière sera aussi l'occasion d'affiner la connaissance des professionnels et du grand public sur les outils de dépistage.

"On a un objectif aussi vraiment scientifique : savoir si ces tests antigéniques, qui font polémique, sont bons ou sont mauvais. Les personnes seront testées deux fois : par PCR et par antigéniques. On saura finalement la réalité." L'objectif affiché : tester au minimum 30% de la population de l'agglomération. "On aimerait en avoir 50%", confie Philippe Froguel.

Un dépistage massif permettrait surtout, selon le généticien, d'anticiper une troisième vague. "Je pense que la troisième vague arrivera entre la fin janvier et le mois de mars et on saura exactement ce qui va se passer à Roubaix. Parce que si on a un nombre de cas positif très élevé, comme on a été très élevé en octobre, on a bien vu ce qui arrivera un mois plus tard." Le nombre de cas positifs détectés, grâce aux tests de dépistage massif, permettrait donc de définir une tendance. "C'est un film qu'il faut faire, ce n'est pas une photo" de l'épidémie, assure le professionnel de santé. 

Des médiateurs pour mettre en confiance la population

Le dépistage à grande échelle a pourtant ses limites. En Slovaquie, par exemple, l'expérience s'est révélée inefficace. Près de trois millions de personnes ont été testées mais le nombre de cas de Covid est reparti à la hausse. A Liverpool, en Angleterre, les résultats sont également mitigés. "En Slovaquie, l'erreur a été de faire le test et ensuite de l'utiliser comme prétexte pour arrêter les gestes barrières. De plus, avec des tests antigéniques qui ne sont pas d'une sensibilité énorme. Les gens pensaient qu'ils avaient un passeport d'immunité et cela a été inefficace", analyse Philippe Froguel.

"En Angleterre, c'est plus compliqué que cela. Le gouvernement pense que cela a été efficace et effectivement, il y a eu quelques discussions. Moi, je trouve que ça a apporté quelque chose : c'est de réfléchir à la façon de faire ce genre de choses. On a beaucoup appris sur Liverpool."

Selon le généticien, le plus important pour une stratégie efficace reste l'adhésion de la population. "Et l'adhésion de la population n'est pas en faisant venir un ministre de la Santé devant les caméras, c'est en utilisant, comme on va faire à Roubaix, des médiateurs, des ambassadeurs des quartiers qui vont convaincre la population, en particulier dans les quartiers populaires qui se font peu tester, que c'est important de faire ça, que c'est bon pour eux et qu'il n'y a pas de danger", explique Philippe Froguel.