Karine Lacombe 3:17
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Mathilde Durand , modifié à
Tests PCR, recherche scientifique, polémique sur l'hydroxychloroquine, liens d'intérêts entre laboratoires et médecins : l'infectiologue Karine Lacombe répond à Didier Raoult sur Europe 1. "Ce n'est pas parce qu’on assène, avec virulence et en gesticulant, des certitudes, que c'est vrai", souligne-t-elle. 
INTERVIEW

Mercredi le professeur Didier Raoult, infectiologue à Marseille et fervent défenseur de l'hydroxychloroquine contre le Covid-19, a été auditionné par les députés sur la crise sanitaire. Tests PCR, liens d’intérêts entre les membres du Conseil scientifique et les laboratoires privés : le professeur a rappelé ses positions avec assurance.

Karine Lacombe, cheffe des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine à Paris, a également été auditionnée le lendemain. Elle revient sur Europe 1 sur sa vision de la crise sanitaire, en opposition totale avec Didier Raoult. "Ce n'est pas parce qu’on assène avec virulence et en gesticulant des certitudes qu’on veut faire passer pour des vérités, que c’est vrai", a taclé l’infectiologue. 

Sur les tests : "pourquoi il n'y a pas eu de solidarité sur le territoire français ?" 

Points par points, elle revient sur les affirmations du professeur Didier Raoult, notamment sur les tests PCR. Il affirme que la France aurait dû tester plus car "c'est un examen extrêmement simple, banal, tout le monde est capable de le faire". A Marseille, l'Institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses (IHU) a d'ailleurs rapidement organisé des campagnes de tests.

"On peut revenir sur la façon dont le dépistage a été fait à Marseille, le dépistage a été centralisé à l'IHU. La question de l’hôpital Nord s’est posée très rapidement. L’hôpital Nord n’avait pas de tests", rappelle Karine Lacombe. "D'où viennent ces tests ? S’il y avait autant de tests à Marseille pourquoi il n’y a pas eu sur le territoire français une solidarité ?"

Les liens d'intérêts entre médecins et laboratoires : "un procès d'intention"

Karine Lacombe s'est également expliquée sur les liens d'intérêts supposés entre les médecins et les laboratoires privés. Elle-même assume d'avoir participé à des conférences ou des expertises rémunérées par des laboratoires. "Effectivement certaines de ses prestations pourraient passer pour des ménages. Pour ma part j’ai toujours fait attention quand j’ai accepté ce type de prestations à ce que cela serve soit mon intérêt scientifique, parce que j’avais besoin de partager des informations sur des médicaments en développement. Ou alors pour faire partager mon expertise, de façon à pouvoir promouvoir la connaissance et tisser des réseaux de professionnels dans la discipline." Selon l'infectiologue, ce contact entre médecin de terrain et les laboratoires pharmaceutique est nécessaire pour développer de nouveaux traitements. 

"Sans ce contact entre les laboratoires et les médecins praticiens, il peut y avoir une déconnexion complète entre ce que le laboratoire pense être bon et ce que nous médecins, nous savons être bon pour les patients que l’on soigne. Ce qui est extrêmement important c’est que ces liens d’intérêts soient divers, et non pas concentrés sur un seul laboratoire", explique-t-elle.

"Et ensuite que ces liens d’intérêts soient complètement encadrés, ce qui est le cas avec la loi de 2017 anti-cadeau. Et absolument transparents." L'infectiologue dénonce un "procès d'intention" du professeur marseillais, en réponse aux interrogations sur ses méthodes pour démontrer l'efficacité de l'hydroxychloroquine. "Depuis le début de l’épidémie, le professeur Didier Raoult assène des vérités sans preuves. Personne n'a promu un médicament plus qu'un autre. Lui a promu l'hydroxychloroquine plus que le reste", critique-t-elle. 

La recherche française est "solidaire"

Les déclarations du professeur Didier Raoult, très médiatisées, ont pu laisser entendre que la recherche française était divisée sur les traitements à utiliser pour lutter contre le Covid-19. "Il n’y a qu’un seul désaccord, sur l’efficacité ou pas de la chloroquine. On a eu des gros essais qui ont été plutôt solidaires sur le territoire national", rétorque Karine Lacombe. "Ce ne sont pas tous les médecins qui ont passé leur temps à s’accrocher les uns avec les autres, ça a été la communauté marseillaise menée par Didier Raoult et le reste des scientifiques." 

Elle dénonce également la méthodologie employée pour démontrer l'efficacité de l'hydroxychloroquine. "Quand on pense que le traitement n'a pas beaucoup d’effet, pour montrer qu’il fait mieux que rien du tout, il faut beaucoup de patients. Le problème ici (dans les travaux de Didier Raoult), c’est qu’il y a peu de patients, qui ne sont même pas comparés à un groupe où l’on pourrait voir la différence. Et ces patients sont triés", assure Karine Lacombe, expliquant avoir discuté avec des professeurs marseillais. "Les patients qui avaient peu de symptômes ont été traités, ceux avec beaucoup de symptômes n’ont pas été traités. Parce qu’en traitant ceux avec beaucoup de symptômes on pouvait prendre le risque qu’ils ne guérissent pas."

"Cela va laisser la trace de ce qu’il ne faut pas faire en termes de recherche clinique", lâche-t-elle. La chercheuse souligne tout de même quelques améliorations nécessaires en cas de futures épidémies. "Il y a eu beaucoup d’essais cliniques. Peut-être qu'à l'avenir, quand on a une pandémie de cette ampleur, et surtout une pandémie dans laquelle il faut aller vite, il faudra une meilleure coordination centrale de la recherche."