Chirac, les neuf vies d'un fauve politique

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Benjamin Bonneau , modifié à
L’ancien président de la République est mort jeudi à l'âge de 86 ans. Europe 1 revient sur une vie et une carrière politique hors normes.

Jacques Chirac, l’un des plus grands fauves de la politique, n’est plus. Le 22ème président de la République française s’est éteint jeudi matin à l’âge de 86 ans. Pour beaucoup, il restera notamment l’homme qui a dit non à la guerre à Irak, en 2003. Réducteur pour un homme dont la vie ressemble à un feuilleton politique. Europe 1 revient sur les neufs vies du Corrézien.

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Premier ministre

Après la mort de Georges Pompidou, le 2 avril 1974, Jacques Chirac, très affecté, choisit d’abord de soutenir, pour l’élection présidentielle anticipée, le Premier ministre sortant, Pierre Messmer, avant de se raviser et de jouer la carte Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances. Pour faire tomber Jacques Chaban-Delmas, lui aussi candidat, Jacques Chirac rallie à VGE 39 parlementaires et quatre ministres gaullistes, dans ce qu’on appelle encore aujourd’hui "l’Appel des 43". Parce qu’il a joué un rôle décisif dans son accession à l’Élysée, VGE envoie Chirac à Matignon, bien que les deux hommes ne s’apprécient guère.

Les moyens pour sortir de la crise économique née du choc pétrolier de 1973 divisent encore un peu plus les deux têtes de l’exécutif. Le remaniement ministériel opéré début 76 par VGE - qui oublie les gaullistes - est la goutte d’eau qui fait déborder le vase corrézien. Il remet donc sa lettre de démission le 26juillet1976, mais accepte de ne la rendre officielle que le 25 août. Il se justifie avec éclat lors d'une conférence de presse tenue à l'Hôtel Matignon le jour de son départ : "Je ne dispose pas des moyens que j’estime aujourd'hui nécessaires pour assumer efficacement mes fonctions de Premier ministre et dans ces conditions, j'ai décidé d'y mettre fin."

Patron du RPR

Redevenu "simple" député de la Corrèze, Jacques Chirac veut alors accroître le poids des gaullistes au sein de la majorité, et s’affirmer comme leur leader. L’Union des démocrates pour la République (UDR) vit ses dernières heures. Lors des assises nationales du parti à la porte de Versailles à Paris, auxquelles participent 50.000 personnes, l'UDR se dissout pour donner naissance au Rassemblement pour la République (RPR). Jacques Chirac en est élu président à 96,52 % des voix.

Maire de Paris

Toujours en guerre avec Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac annonce sa candidature à la mairie de Paris le 19 janvier 1977. Face à lui, le candidat soutenu par l’Élysée, Michel d’Ornano. Les deux hommes s’étripent par presse interposée. Les chiraquiens font la tournée des marchés, et leur champion serre des mains à tout va, l’une de ses forces.

 

Au premier tour, la liste d’union de la gauche profite de cette division de la droite pour virer en tête. Mais au second, c’est Jacques Chirac qui s’impose, avec… 2.000 voix d’avance. Et devenir édile de Paris - un poste qui n’existait plus depuis Jules Ferry en 1881 -, ce n’est pas rien : 15 milliards de francs de budget, 40.000 fonctionnaires, soit un contre-pouvoir important. Mais aussi (et surtout) un excellent tremplin électoral. L’avenir le confirmera…

Président de la République

En 1979, au lendemain d’élections européennes difficiles, Jacques Chirac est contesté au sein de sa propre famille politique. Michel Debré va même jusqu’à présenter sa candidature à l’élection présidentielle. Ce qui n’affole pas pour autant le maire de Paris, qui se lance quelques mois plus tard avec Charles Pasqua comme coordinateur de sa campagne. Une première ratée puisque Jacques Chirac ne passe même pas le premier tour et laisse le fauteuil tant convoité à François Mitterrand.

Sept ans plus tard, en 1988, il croit tenir sa revanche. Mais bien que cette fois qualifié pour le second tour, il ne peut rien face au sortant socialiste, qui lui cloue le bec lors du débat de l’entre-deux-tours. Il devra attendre 1995 pour conquérir l’Élysée au terme d’une bataille violente, avec Édouard Balladur à droite et Lionel Jospin à gauche. Mais cette fois, ça y est, le Corrézien a réussi son coup.

Un séducteur

Chirac et les femmes, c’est une longue histoire… Dans Sexus Politicus*, ouvrage de référence sur les mœurs sexuelles de nos politiques, on apprend que l’ancien président aurait eu une multitude d’aventures extraconjugales. Quelques noms sont mêmes avancés, de la simple rumeur à l’information vérifiée. Un autre bruit court avec insistance depuis de nombreuses années : Jacques Chirac, passionné par le Japon, aurait là-bas un enfant caché, ce qui expliquerait ses nombreux voyages au pays du Soleil levant (en 2005, il affichait 45 visites au compteur).

Quant à Bernadette Chirac, elle n’ignorait rien des frasques de son mari, et assume, comme elle l’avait glissé dans un livre d'entretien avec Patrick de Carolis : "Je suis toujours restée le point fixe". Mais quand son mari lançait des œillades appuyées à une femme, comme dans cette vidéo avec Sophie Dessus, alors conseillère régionale de Corrèze, Bernadette sortait les griffes :

Un bon vivant

Jacques Chirac était un séducteur. C'était aussi un épicurien. Parmi ses (autres) petits plaisirs figure notamment la bonne chère. Ce qui explique que son rendez-vous politique préféré de l’année était le salon de l’Agriculture. Outre la tête de veau, son péché mignon, Jacques Chirac était aussi un grand amateur de la bière Corona, et ne s’en est jamais caché. Ainsi quand, en octobre 2012, le gouvernement socialiste envisage de créer une taxe sur la bière, deux députés UMP lui écrivent une lettre ouverte en forme d’appel au secours : "Parce que nous connaissons votre attachement revendiqué pour cette boisson, qui s'inscrit dans notre culture populaire, dès lors qu'elle est consommée modérément, nous vous demandons d'intervenir pour vous opposer à cette mesure", écrivaient Gérald Darmanin et Bernard Gérard.

Un bon plat, une bonne bière et une bonne blague en dessert, voilà le triptyque rêvé de l’ancien président. Des exemples ? "J'apprécie beaucoup plus le pain, le pâté, le saucisson que les limitations de vitesse" (1977), ou encore : "Bien sûr que je suis de gauche ! Je mange de la choucroute et je bois de la bière'" (1999).

Corrézien

Bien que né à Paris en 1932, la carrière de Jacques Chirac aurait certainement été différente sans la Corrèze, son berceau familial. C’est dans ce petit département, bastion de la gauche, qu’il obtient son premier poste de député, en 1967. Une victoire qui impressionne à Paris. Tout au long de son ascension politique, Jacques Chirac reviendra fréquemment dans son fief, lui que les paysans aiment tant. Il y a même créé un musée qui porte son nom. Et parce que la Corrèze est une affaire de famille, c’est là que Bernadette, son épouse, s’est lancée en politique : elle y a été conseillère régionale de 1979 à 2015 !

Hasard ou coïncidence, la Corrèze a fourni à la République un autre président, François Hollande, qui a lui aussi fait ses premiers pas en politique sur cette terre. Pas encore élu, le socialiste avait assisté en 2011 à une exposition au musée Chirac, en présence de ce dernier. Celui-ci avait rendu fou de rage Nicolas Sarkozy en déclarant, tout sourire : "Moi, je vote Hollande!". "Il me soutient dans la solidarité pour la Corrèze", avait décrypté le futur chef de l’État.

Un stratège

Dresser la liste des filouteries politiques de Jacques Chirac serait une gageure. Car l’homme était ambitieux et prêt à tout pour obtenir ce qu’il voulait. Deux exemples l’illustrent parfaitement, dont son soutien à VGE en 1974. Qualifié de traître par sa famille politique, il est récompensé de son audace en devenant Premier ministre.

Sept ans plus tard, éliminé dès le premier tour de la présidentielle, il annonce officiellement soutenir VGE au second tour. Mais, dans les faits, il appelle discrètement à voter pour François Mitterrand, qui sera ensuite élu. VGE ne lui a jamais pardonné.

Un "Japonais"

Longtemps, Jacques Chirac a caché sa passion pour les arts premiers et les cultures lointaines. Pourtant, à en croire ses biographes, dès 14 ans, Jacques Chirac séchait l’école pour traîner dans les salles du musée Guimet d'arts asiatiques. L’ouverture en 2006 du musée du quai Branly, projet qu'il a porté de bout en bout, dévoile sa passion au grand public. À partir de ce moment là, le président devient l’ambassadeur en France du sumo, sport traditionnel japonais qu’il affectionne tant. Une passion si dévorante que Jacques Chirac a appelé son chien, un bichon frisé, Sumo. "Peut-être qu'en le pratiquant jeune, j'aurais pu faire du sumo. J'avais la taille nécessaire, et le poids, ça s'acquiert…", a-t-il un jour déclaré, presque sérieux.

*Sexus Politicus, par Christophe Deloire et Christophe Dubois, édition Albin Michel, 2006