Avec la crise du coronavirus, les chaînes privées réclament une "solidarité" du service public

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Philippe Vandel, avec Cyril Lacarrière, édité par Séverine Mermilliod
Alors que les télévisions et radios n'ont jamais fait autant d'audiences, la publicité, elle, s'effondre. Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6, était l'invité de Culture Médias sur Europe 1. Il aimerait que le secteur public "abandonne provisoirement" ses recettes publicitaires par solidarité avec le privé.
INTERVIEW

Avec la crise du coronavirus, jamais il n’y a eu autant de monde devant les postes de télé et de radio...et jamais si peu de publicité. Les chaînes privées sont-elles donc en danger ? Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6 (M6 évidemment, mais aussi les chaînes W9, 6ter, TF6, depuis peu Gulli, et la radio RTL), estime au micro d'Europe 1 qu'il "va falloir trouver des solutions pour sortir de cette crise sans précédent", et que le secteur public devrait faire un effort.

 

"Les recettes publicitaires ne sont pas là"

Depuis le confinement, 85% des Français regardent les chaînes historiques, contre 77% avant 15 mars, passant de 42 à 47,7 millions de spectateurs. Sur M6, l'émission "Tous en Cuisine" avec Cyril Lignac cartonne à plus de 2 millions de téléspectateurs...mais la publicité ne suit pas. L’Union des marques note qu'au global, les recettes publicitaires sont déjà en chute de 40 % sur un an, et la tendance devrait encore s’accélérer pour atteindre "de 70 % à 80 % de pertes de recettes en avril".

"Les recettes publicitaires ne sont pas là", confirme le PDG du groupe M6. "C’est vrai pour la radio, la télévision, les journaux. Il va falloir trouver des solutions pour sortir de cette crise sans précédent." Or selon lui, si le gouvernement a mis en place des mesures pour l'économie, "dans notre secteur rien n’arrive. Cela nous inquiète parce que nous faisons des propositions, sur le crédit d’impôts (voir encadré plus bas), sur le fait que le secteur public pourrait faire un effort sur la publicité, qui représente 10% de ses revenus, alors que pour nous c’est 100%, et que nous allons probablement perdre 1 milliard d’euros cette année."

Abandonner la pub sur le service public, "une question de solidarité" ?

Nicolas de Tavernost aimerait donc que la publicité soit temporairement exclue du service public, au profit du secteur privé. "On pourrait quand même trouver un équilibre dans l’effort, entre nous qui devons assumer près de 50% de pertes de recettes, et le service public qui lui n’a que 10%. Je pense que ça ne remettrai en cause ni sa qualité ni ses performances."

Le budget de Radio France, rappelle-t-il aussi, est équivalent à "l’ensemble des recettes de toutes les stations privées, locales et nationales françaises, soit environ 650 millions. L’effort que pourrait faire Radio France, sur les 50 millions de publicité qui seraient bien utiles aux autres radios, c’est provisoirement de les abandonner. D’ailleurs le public serait peut-être content d’avoir moins de publicité sur les antennes du secteur public. C’est une question de solidarité."

 

 

Le ministre de la Culture "pas convaincu"

De son côté, selon des chiffres de 2018, France Télévisions, 25% de l'audience, a un budget de 2,9 milliards, dont 350 millions "seulement" venus de la régie publicitaire, ce qui lui garantit 90 % de ses recettes. Les chaînes privées représentant 75% de l’audience se partagent 3,430 milliards (701 millions pour la radio), selon le baromètre unifié du marché publicitaire de 2018.

Mais en attendant, "le ministre de la Culture ne semble pas convaincu" par cette proposition de solidarité du public envers le privé, dit Nicolas de Tavernost. Pourtant selon lui, "au-delà des radios et des télévisions, c’est tout le système de la création qu’il y a derrière : les auteurs sont payés par les recettes publicitaires, les films de cinéma sont tournés grâce à nos recettes… Si on défend le système de création, il faut défendre également le secteur privé, radio, télévision, audiovisuel français."

Le gouvernement s’est opposé à plusieurs propositions qui auraient pu soulager télés, radios, journaux et magazines. Première idée rejetée : un crédit d’impôt sur les dépenses de communication. Une idée qui permettait d’encourager les annonceurs à continuer d’acheter de la publicité, ce qu’ils ne font quasiment plus depuis le début de la crise, mais qui n’avait pas reçu un accueil très enthousiaste du ministre de la Culture Franck Riester, qui rappelait que beaucoup de secteurs demandaient ce genre de dispositif. Mais l’idée n’est pas enterrée. Le gouvernement estime qu’il s’agit plus d’une mesure de relance que d’urgence. Ce crédit d’impôt pourrait donc bien voir le jour, mais pas avant plusieurs mois.

La proposition d’un fond de soutien de 50 millions d’euros pour soutenir les journaux et les magazines de presse écrite porté par le groupe socialiste a été également rejetée. Le rapporteur du budget a rappelé qu’il existait un dispositif d’aides dédiées à toutes les entreprises françaises et que les éditeurs de presse pouvaient y faire appel.