Un employé consulaire français inculpé pour trafic d'armes à Gaza : une affaire délicate pour la diplomatie française ?

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Le jeune français aurait fait sortir des dizaines d'armes de la bande de Gaza vers la Cisjordanie. © AFP
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Clémence Olivier
Un Français travaillant comme chauffeur pour le consulat de France à Jérusalem est accusé de trafic d'armes à Gaza. Une affaire qui intervient une semaine avant d'une visite de Jean-Yves Le Drian en Israël.

Un employé du consulat général de France à Jérusalem, Romain Franck, a été inculpé lundi par la justice israélienne pour avoir participé à un trafic d'armes dans les Territoires palestiniens. Selon Israël, le jeune Français aurait fait sortir des dizaines d'armes de la bande de Gaza vers la Cisjordanie, pour le compte d'un réseau de trafiquants palestiniens. Une accusation grave mais également délicate pour la diplomatie française. Est-ce la première fois qu'une telle affaire se produit ? Est-ce que cela peut porter un coup aux relations entre les deux pays ? Décryptage.

Que sait-on de cette affaire ?

Romain Franck est soupçonné d'avoir mis à profit la relative protection que lui conférait son statut d'agent technique au consulat général de France à Jérusalem pour transporter dans un véhicule du consulat, en cinq voyages, environ 70 pistolets et deux fusils automatiques entre Gaza et la Cisjordanie, une enclave considérée comme "terroriste" par Israël. L'intérieur des véhicules diplomatiques est généralement exempt de contrôle.

Selon la sécurité intérieure (Shin Beth), le jeune homme, recruté au consulat général comme "volontaire international", recevait les armes d'un employé du Centre culturel français à Gaza, franchissait la frontière avec Israël, parcourait à travers le territoire israélien les quelques dizaines de kilomètres jusqu'en Cisjordanie, autre territoire palestinien sous occupation israélienne, et remettait les armes à un individu qui les revendait à des trafiquants.

Pour l'heure, les circonstances de l'affaire restent troubles. Aucune information n'a été dévoilée sur la date des voyages, ni sur les destinataires des armes. 

Pourquoi est-elle particulièrement délicate ?

Ce n'est pas là première fois que le consulat français est impliqué dans une affaire sensible. En 2013, un chauffeur du consulat de France à Jérusalem avait été arrêté car il transportait à bord d'une voiture diplomatique des centaines de kilos d'or en lingot, des chèques pour deux millions de dollars, du tabac et des téléphones portables. Il avait alors été expulsé d'Israël. "Mais ce n'était pas aussi grave qu'aujourd'hui car cette fois-ci, il s'agit d'armes", explique à Europe 1 Vincent Lemire, maître de conférences en histoire contemporaine.

"Il y a un vrai enjeu. Car Israël fait tout pour éviter que les Palestiniens ne récupèrent des armes à feu". Depuis quelques temps, l'armée israélienne détruit les tunnels creusés par le Hamas  qui permettaient de faire circuler des marchandises, après avoir pris le contrôle des routes et des airs. "70 armes, c'est énorme à l'échelle de la Palestine", estime l'historien. "Surtout le risque est élevé pour que, sur ces 70 armes, il y en ait une qui ait servi par exemple à tuer un policier israélien."

 

Est-ce que l'affaire peut porter un coup aux relations diplomatiques franco-israéliennes ?

Officiellement non. Autorités israéliennes et françaises ont mis en exergue que le jeune Français aurait agi de sa propre initiative et que les relations franco-israéliennes ne seraient pas affectées. Le Quai d'Orsay a affirmé prendre très au sérieux cette affaire et a ordonné une enquête administrative sur place. Mais l'affaire est potentiellement gênante pour la diplomatie française à quelques jours d'une visite de Jean-Yves Le Drian. Israël avait déjà été agacé par la France qui, en décembre, était en première ligne pour condamner la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël par les Etats-Unis. Par ailleurs, la France est une grande puissance très investie dans le processus de paix israélo-palestinien.

"Cela va obliger les Français à faire profil bas. Cela affaiblit Jean-Yves Le Drian", estime Vincent Lemire. "Cela donne aussi aux Israéliens un moyen de pression". Or le consulat général de Jérusalem n'a pas seulement une tâche consulaire, mais assure aussi une mission diplomatique sensible auprès de l'Autorité palestinienne, embryon d'État palestinien indépendant. Sans avoir de contact avec le Hamas, considéré comme "terroriste" par l'Union européenne, les diplomates français se rendent régulièrement à Gaza, à la différence par exemple des Américains.

"S'ils le souhaitent, ils peuvent aller vers des mesures de rétorsions contre le consulat de France. Par exemple, refuser des accréditations, ou la délivrance de plaques diplomatiques", souligne l'historien. C'est d'ailleurs ce que souhaite le général israélien Poli Mordechai, qui supervise les activités israéliennes de nature civile dans les Territoires. Il l'a indiqué lundi sur son compte Facebook. Mais pour Vincent Lemire, il est peu probable, pour l'heure, qu'Israël opte pour de telles mesures.