"La révolution de la grande distribution n'aura pas lieu sans une révolution de la redistribution"

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Chaque samedi et dimanche, François Clauss se penche sur une actualité de la semaine écoulée. Aujourd'hui, la grande distribution et les émeutes pour du Nutella.

"Clauss toujours". L'humeur de François Clauss, tous les samedis et dimanches matins à 8h55 sur Europe 1. Bonjour François.

Bonjour Wendy, bonjour à tous et toutes. Le choc de ces deux images cette semaine, comme un condensé saisissant de notre époque.

Mercredi, à la Une du Parisien, l'homme qui veut révolutionner la grande distribution : Alexandre Bompard, PDG CAC 40 de Carrefour. Plusieurs milliers de suppressions d'emplois, réduction de 100.000 m² de la surface des 247 hyper Carrefour. Mais aussi et surtout, près de trois milliards d'investissements pour construire l'hyper de demain tout numérique et tout écolo. Le magasin du 22ème siècle est là à nos portes. Quand soudain, dès jeudi, elles tournent en boucle sur tous les réseaux sociaux. Ces images d'aujourd'hui comme surgies du Moyen-Age, les émeutes du Nutella dans les rayonnages d'Intermarché qui a annoncé une promo de 70%. On se tire les cheveux, on se bat, on se bouscule pour un pot de 950 grammes de pâte à tartiner proposé à 1.41 euro, soit trois euros d'économie.

Soubresaut de l'époque, quand on bâtit le monde de demain alors que celui d'aujourd'hui s'effondre sous nos yeux.

L'hypermarché, c'est une tranche de vie, c'est l'histoire de la France. Celle des années 60, quand le bonheur n'est plus dans le pré mais dans l'hyper qui pousse aux portes de toutes nos villes. Le temps de la profusion, le temps de la consommation, des escalators et des caddies tout neufs. Des enseignes qui ont pour nom Continent ou Mammouth et que les Deschiens nous restituaient avec tant d'humour. Mammouth n'écrase plus les prix. Continent est devenu Auchan. Et l'hyper des années 90, qui a massacré tous nos centres villes, devient le reflet de la crise, le temps des vigiles, d'une jeunesse provinciale désœuvrée.

Revoyez Albert Dupontel et Benoît Poolvorde dans le beau film de Kerven et Delépine intitulé "Le grand soir". Relisez le magnifique livre d'Annie Erneaux qui a arpenté pendant un an les rayonnages du Auchan de Cergy-Pontoise, livre intitulé "Regarde les lumières, mon amour". Ce qu'une maman dit à son enfant face aux rayonnages, cette promesse du bonheur mais aussi d'une forme de résignation sociale à coups de promotions.

Alors oui, on veut rêver avec Bompard de cet hypermarché de demain, où on paiera directement sur son smartphone, où l'on pourra dicter à distance sa liste de courses et se faire livrer en moins de deux heures des œufs collectés dans un poulailler où les volailles ont été élevées au bon grain par des agriculteurs responsables et bio. Mais les émeutes du Nutella nous renvoient aussi à ce monde où 32 familles, la plupart des propriétaires de la grande distribution possèdent autant que 40% du total de la population française. Et on se dit que la révolution de la grande distribution n'aura pas lieu sans une révolution de la redistribution !