Repousser l’âge de départ à la retraite, un mal nécessaire ?

Jean-Paul Delevoye mène les négociations pour la réforme des retraites.
Jean-Paul Delevoye mène les négociations pour la réforme des retraites. © ETIENNE LAURENT / POOL / AFP
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Certaines voix au sein du gouvernement poussent pour repousser l’âge légal de départ à la retraite afin d’assurer le financement du régime.
ON DÉCRYPTE

"Nous ne toucherons pas à l’âge de départ à la retraite" : telle était la promesse formulée par Emmanuel Macron dans son programme de campagne en 2017. Mais le président sera-t-il contraint de dédire le candidat ? Depuis que la ministre de la Santé Agnès Buzyn a évoqué la possibilité de "proposer un allongement de la durée de travail" dans le cadre de la future réforme des retraites, le débat est relancé au sommet de l’État. Mais est- il réellement nécessaire de repousser l’âge de la retraite pour maintenir à flot le régime actuel ?

Un déficit toujours inquiétant

Le financement du régime de retraites par répartition français repose sur trois piliers : la durée de cotisation des actifs, le niveau des cotisations et le montant des pensions des retraités. Trois leviers sur lesquels les gouvernements successifs ont joué pour tenter d’assurer la pérennité du système. Ainsi va de l’exécutif actuel qui a opté pour un gel des pensions en 2019 et 2020, le Conseil constitutionnel a retoqué la mesure pour la deuxième année.

Mais un pansement ne suffira pas à arrêter l’hémorragie. Le Conseil d’orientation des retraites tire régulièrement la sonnette d’alarme sur les comptes du régime général. Après trois années dans le vert (en réalité un transfert comptable entre les différentes caisses de la Sécu), le régime de retraites devrait replonger dans ses déficits chroniques dans les prochaines années, jusqu’à manquer de 4,5 milliards d’euros en 2022. Et cela sans considérer le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), dont les comptes peinent encore à s’assainir, avec 3,6 milliards d’euros de déficit en 2017 et toujours 1,4 milliards prévus en 2020.

Des retraites plus longues et la dépendance à financer

Pour tenter d’enrayer cette dynamique négative, le gouvernement a décidé d’engager une réforme globale du régime pour passer à un système par points universel avec "des règles communes de calcul des pensions" et fondé sur "un principe d’égalité : pour chaque euro cotisé, le même droit à pension pour tous". De fait, l’harmonisation des différents régimes devrait engendrer des économies de fonctionnement conséquentes. Mais cela ne résout pas entièrement la question du financement. Or, en cette période de crise du pouvoir d’achat, l’exécutif ne peut pas prendre le risque de diminuer les pensions ou d’augmenter les cotisations. D’où la résurgence du débat sur l’âge de la retraite.

Moins d'actifs et plus de retraités. La question est directement liée à celle du vieillissement de la population. Avec l’espérance de vie qui ne cesse d’augmenter, les Français passent aujourd’hui en moyenne 26 ans à la retraite. À ce rythme, on dépassera même les 30 ans pour les générations qui arrivent actuellement sur le marché du travail. Autant d’années de pension à verser et donc à financer.

Or, conséquence du baby-boom d’après-guerre, le nombre de retraités augmente plus vite que le nombre d’actifs, ce qui engendre un déséquilibre du régime par répartition. Aujourd’hui, 23 actifs cotisent pour 10 retraités. Un ratio qui devrait passer, selon le Conseil d’orientation des retraites, à 16 pour 10 en 2030 et 13 pour 10 en 2060, si rien ne change.

Financer la dépendance. Le vieillissement de la population appelle également un autre problème : le financement de la dépendance. La prise en charge des personnes âgées "demande des moyens considérables", a souligné Édouard Philippe sur Europe 1 vendredi dernier. "On peut se demander si, un jour, pour dégager ces moyens financiers, l'équilibre sera de travailler plus longtemps pour que la dépendance soit totalement prise en charge", a estimé le Premier ministre. "Je pense qu'il faut se poser cette question."

Le débat est ouvert

Le Premier ministre a reçu à ce sujet le soutien du patronat. "L'espérance de vie continue à progresser, donc on a le choix entre deux solutions : soit on ne touche rien et on va être obligés de baisser les pensions, soit on se pose la question", a assuré le patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux, jeudi sur Europe 1. Il estime qu’il faut une réflexion de fond : "Il y a le niveau des pensions, il y a le nombre de trimestres, il y a plein de choses à faire (…) C'est un équilibre général, c'est ça qu'il faut qu'on discute avec Jean-Paul Delevoye", le haut-commissaire chargé de la réforme des retraites.

Delevoye se veut rassurant. Ce dernier a d’ailleurs tenté de clore la polémique naissante, jeudi, en maintenant l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans. "Le contrat que nous avons engagé avec les partenaires sociaux ne change pas d'un iota", a-t-il déclaré sur France Inter.

Jean-Paul Delevoye a toutefois reconnu qu'il y avait "une confusion autour de l'âge". La borne légale des 62 ans, "c'est l'âge d'ouverture des droits" mais "les Français, plein de bon sens, partent quand ils décident que leur pension est au niveau qu'ils souhaitent" et "en réalité les personnes sont en train de partir à 63, 64, 65 ans très naturellement dans le système actuel", a-t-il expliqué. Aujourd’hui, l’âge moyen effectif de départ à la retraite dans le privé est en effet de 62 ans et huit mois.