Le secteur du tourisme plombe-t-il vraiment les chiffres du chômage ?

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Un couple de touristes de passage à Paris. © LUDOVIC MARIN / AFP
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EMPLOI - L’inversion de la courbe du chômage s’éloigne un peu plus. La faute au secteur touristique, comme l’affirme le gouvernement ? 

Face à des chiffres du chômage particulièrement mauvais en août, le gouvernement a avancé lundi deux explications : le nombre de jours ouvrés particulièrement élevé le mois dernier, qui a permis à davantage de chômeurs d’actualiser leur situation, mais aussi et surtout l’impact du terrorisme. La ministre du Travail comme le porte-parole du gouvernement ont souligné le rôle des attentats, qui ont provoqué un "trou d'air" dans le secteur du tourisme. En clair, le terrorisme a nui à l’emploi, par le biais de l’hôtellerie-restauration. Les professionnels du tourisme trouvent, eux, l’explication un peu courte, même si elle pourrait devenir pertinente si rien n’est fait pour les aider.

Le tourisme peut-il à ce point influencer l’emploi ? La France est la première destination au monde et a accueilli 84,5 millions de touristes étrangers en 2015. Le secteur touristique est donc tout sauf anecdotique pour l’économie hexagonale : il représente 7% du PIB et a représenté un chiffre d’affaires de 170 milliards d'euros en 2015. Le tourisme est logiquement l’un des principaux employeurs, avec 2 millions d'emplois directs et indirects. Sa méforme peut donc avoir un impact non négligeable sur l’emploi, d’autant que les touristes font également tourner le commerce.

Ce secteur va-t-il si mal ? D’après les chiffres officiels, la fréquentation touristique ne cesse d’augmenter année après année et cette hausse s’est confirmée en 2015. La dynamique est donc bonne, mais elle est peut-être en train de caler. En effet, en attendant les chiffres de l’année 2016, les derniers indicateurs du secteur sont inquiétants : fin août, le ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a annoncé une chute de 7% des touristes étrangers en France depuis le mois de janvier. Et ce alors même que la France a accueilli l’Euro de football.

Le terrorisme explique-t-il les difficultés du tourisme ? Les régions les plus touchées sont logiquement celles qui ont été le plus marquées par le terrorisme : la région parisienne avec les attentats contre les terrasses et le Bataclan fin 2015, puis la Côte d’Azur avec l’attentat sur la promenade des Anglais en juillet 2016. Le Comité régional du tourisme (CRT) d’Ile-de-France a ainsi fait état cet été d’une "baisse sans précédent" depuis 2010 de la fréquentation touristique. Son homologue azuréen a lui aussi évoqué fin août des chiffres inquiétants : une baisse de la fréquentation touristique de 10% et une chute du chiffre d’affaires de 20 à 25%.

Pour autant, "il n’y a pas que les attentats", prévient Hervé Becam, vice-président de l’Umih, qui représente les hôteliers et les restaurateurs. Les raisons de cette désaffection touristique sont à ses yeux bien plus variées : la concurrence grandissante et jugée déloyale d’Airbnb ou Abritel, l’image négative de la France véhiculée à l’étranger par les manifestations violentes contre la loi Travail ou encore la météo capricieuse au printemps et en début d’été. Bref, le terrorisme n’explique pas tout.

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Le secteur est-il le seul responsable des chiffres du chômage ? L’Umih juge par ailleurs un peu facile l’argumentaire gouvernemental sur les chiffres du chômage.  "Nous n’avons pas eu connaissance de destruction d’emplois, même dans les régions ayant rencontré le plus de difficultés", assure Hervé Becam. "Il est probable que les entreprises n’aient pas eu recours à l’intérim, aux contrats saisonniers ou aux contrats d’extra. Il n’y a pas eu d’embauches, mais il n’y a pas eu de suppressions de postes", poursuit ce dernier, qui est par ailleurs hôtelier restaurateur en Bretagne.

Economiste à l’OFCE, Mathieu Plane, nuance lui aussi l’argumentaire gouvernemental. "Les attentats jouent mais n'expliquent pas tout (…), on voit aussi clairement que la croissance piétine, après une phase de reprise jusqu'au premier trimestre 2016", souligne-t-il, faisant référence à la croissance de la France retombée à zéro au cours du deuxième trimestre. Au-delà du tourisme, c’est donc toute l’économie française qui a calé entre avril et juin.

La dégringolade du tourisme peut-elle continuer ? Les professionnels du tourisme n’ont qu’une certitude : ils n’ont aucune visibilité sur les mois à venir. L’Umih évoque bien une légère embellie en septembre grâce au tourisme d’affaires, mais "au-delà, on ne sait pas". En revanche, si les touristes continuent à délaisser l’Hexagone, la situation pourrait devenir bien plus sensible et avoir, cette fois-ci, un vrai impact sur la courbe du chômage : "si la situation perdure, on peut arriver à des destructions d’emplois, voire d’entreprises", prévient le vice-président de l’Umih.

Que fait le gouvernement ? L’Etat s’est emparé du dossier au mois de mars et a alors lancé un plan d'un million d'euros pour promouvoir la France à l'étranger. Puis il a instauré un comité d'urgence économique dédié au tourisme, qui s’est réuni en juillet puis en septembre, date à laquelle 10 millions d'euros supplémentaires ont été débloqués pour la promotion du secteur. L’objectif affiché est simple : redorer l’image de la France à l’étranger. Et parce que la communication ne suffit pas, un comité interministériel du tourisme est également prévu le 17 novembre prochain pour évoquer la qualité et les tarifs de l'offre touristique, sans oublier la formation ou encore les investissements nécessaires pour renouveler l’attrait de la destination France. Et atteindre l’objectif affiché de 100 millions de visiteurs étrangers à l’horizon 2020.