Bercy ministère économie 2000 x 1000 2:20
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En trois semaines, des centaines de milliers d'agents de la fonction publique ont été forcés de basculer en télétravail. Parfois sans matériel ni logiciel. Mais bon an mal an, l'État s'est adapté. Aujourd'hui, en plus des enseignants, 200.000 fonctionnaires sont en capacité de travailler depuis chez eux.
INFO EUROPE 1

En trois semaines de confinement, le télétravail est devenu la norme pour une grande partie des entreprises françaises. Pour la fonction publique, en revanche, la machine a eu plus de mal à se mettre en branle. La faute à une culture du travail à distance peu présente dans les ministères et les services de l'État, à un faible taux d'équipement en ordinateurs portables et à des logiciels pas toujours adaptés. Mais après trois semaines, l'État a pris le pli : selon les informations recueillies par Europe 1, le nombre de fonctionnaires en télétravail a été multiplié par quatre depuis le début du confinement.

200.000 agents des services de l'État en télétravail

Ce sont désormais 200.000 agents des services publics d'État qui sont en capacité de travailler chez eux dans des conditions similaires à celles de leur bureau. Et des dizaines de milliers d'autres sont en télétravail partiel. En comparaison, ils n'étaient que 50.000 prêts à basculer quand le confinement a été instauré. Ce chiffre concerne les fonctionnaires dits "de bureau", ceux qui travaillent dans les ministères, l'administration centrale et les services de l'État en région comme les centres des impôts et les préfectures. Évidemment, les personnels des hôpitaux et les policiers ne sont pas concernés par le télétravail. Les quelque 870.000 enseignants du second degré, eux, le sont d'office depuis la fermeture de tous les établissements scolaires.

"On n'est pas à 100% des agents publics en télétravail, évidemment, loin de là. Mais les services informatiques de l'État ont essayé de doter un maximum d'agents des outils nécessaire pour maintenir le service public dans la forme la moins dégradée possible", souligne Nadi Bou Hanna, le patron de la Dinum, la Direction interministérielle du numérique, chargée de piloter la transformation numérique de l'État et qui supervise depuis trois semaines le déploiement du télétravail.

Bercy, un modèle (presque) parfait 

Prenons un exemple : le ministère de l'Économie. Selon nos informations, sur les 130.000 agents de Bercy, seuls 19.000 sont encore sur le terrain aujourd'hui, soit à peine 15% des effectifs. Outre les équipes des ministres sur le pont, il s'agit surtout de douaniers ou de trésoriers des hôpitaux qui ne peuvent pas quitter leur affectation. Les 110.000 autres agents sont chez eux, dont 33.000 sont en télétravail à 100% et 48.000 en garde d'enfants. Bercy recense également près de 2.000 agents malades ou en quatorzaine après avoir été en contact avec une personne infectée par le coronavirus.

Avec 25% de télétravailleurs, Bercy est donc plutôt un bon élève même si tout n’est pas parfait : 24.000 agents du ministère sont chez eux mais sans possibilité de télétravail, soit parce que leur poste ne le permet pas, soit parce qu’ils n’ont pas un bon réseau Internet. Résultat, ils ne travaillent pas mais restent payés. Une forme de chômage partiel mais, à la différence du privé, cette situation est compensée à 100% par l’État. "Il reste des zones blanches sur le territoire et des agents qui n'ont pas pu être équipés, mais avec le travail effectué ces dernières semaines, ce sont des cas minoritaires", assure Nadi Bou Hanna, le patron de la Dinum.

"On a même pas de smartphones"

Des cas minoritaires, certes, mais qui existent. Avec leur lot de problèmes. Sous couvert d'anonymat, une responsable régionale de la DGCCRF, l'organisme en charge de la répression des fraudes, confie à Europe 1 son désarroi. "On est une toute petite équipe mais on a tout juste l'équivalent d'un ordinateur pour trois ! Idem pour les téléphones professionnels. En plus ce ne sont que des vieux modèles, même pas des smartphones", déplore-t-elle. "On n'a pas non plus de VPN (logiciel pour accéder à un serveur à distance, ndlr). Donc on ne peut pas consulter nos dossiers. Tout ce qu'on peut faire, c'est répondre à des mails et aller au 'drive' des grandes surfaces pour faire des relevés de prix..."

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Pas simple non plus dans l’Éducation nationale. Le ministère a mis en place, avec l'aide du CNED, le dispositif "Ma classe à la maison" qui permet de faire des visioconférences. Des agenda numérique existent également au sein des établissements. Mais les enseignants et les élèves ne sont pas toujours équipés pour assurer ou suivre les cours à distance, à l’image de Florent, professeur de physique-chimie dans un collège. "On ne nous a rien fourni. Le matériel, c'est le nôtre", déplore-t-il. "Et niveau logiciels, ce n'est pas beaucoup mieux. Tous les établissements ont un ENT, un espace de travail numérique. Mais c'est très pauvre par rapport à d'autres logiciels qu'on trouve sur le net. C'est comme si on nous vendait une Peugeot 205 en 2020. Ça roule mais c'est pas terrible..."

Recyclage de vieux ordinateurs

Malgré ces défaillances, le basculement de la fonction publique en télétravail reste un tour de force, de par la taille de l'opération qui concerne, à différentes échelles, des millions de fonctionnaires (en plus des services de l'État et des enseignants, il y a aussi les collectivités territoriales qui se débrouillent chacune de leur côté). D’autant que le travail à distance a été mis en place dans l’urgence, avec les moyens du bord. "C'est surtout le matériel qui faisait défaut. Il n'y avait pas suffisamment d'ordinateurs à jour et sécurisés pour en fournir à 50 ou 60% des agents de la fonction publique", reconnaît Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique. "On en a donc acheté un certain nombre et on a recyclé de vieux ordinateurs quasiment obsolètes, qu'on a mis et à jour et rafistolés."

Côté logiciels, la messagerie Tchap, conçue spécialement pour les fonctionnaires et lancée il y a pile un an, est passée de 50.000 à 140.000 utilisateurs en trois semaines (dont 70.000 dans les services en région). Et des plateformes de travail collaboratif, Osmose et Plano, ont été déployées en accéléré fin mars. Pour aller encore plus loin, les services informatiques de l'État s’activent notamment pour transformer les ordinateurs personnels en ordinateurs professionnels. Nadi Bou Hanna tire déjà les leçons de cette séquence : "La crise que l'on vit met en lumière l'importance cruciale du numérique pour assurer la continuité du service public."