Climat : pourquoi le dégel du permafrost pourrait avoir des conséquences néfastes

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André Loesekrug-Pietri, édité par Gauthier Delomez , modifié à
Le "monsieur climat" de la présidence américaine, John Kerry, a lancé un appel à ne pas détourner le regard de la crise climatique, malgré la guerre en Ukraine. Il alerte sur la fonte du permafrost, qui entrainerait de nombreuses conséquences néfastes pour la planète. L'éditorialiste André Loesekrug-Pietri relaye son appel sur Europe 1.
EDITO

Malgré la guerre en Ukraine, il ne faut pas détourner le regard de la crise climatique, qui se joue en grande partie en Russie. C'est l'appel de John Kerry, envoyé spécial de la présidence américaine chargé de la lutte contre le réchauffement climatique, dans les colonnes du Parisien mardi. Le dégel du permafrost est une véritable bombe à retardement pour toute la planète, met en garde l'éditorialiste André Loesekrug-Pietri sur Europe 1. Il rapporte les nombreuses conséquences que la fonte de ce sol gelé pourrait engendrer.

André Loesekrug-Pietri tente d'abord un rapprochement entre la crise ukrainienne et la crise climatique. "On a beaucoup parlé au début de l'offensive russe des sols gelés et de l'embargo des véhicules en Ukraine. Et aujourd'hui, il faudrait parler du permafrost. En français, on appelle ça le pergélisol. C'est la partie du sol gelée en permanence au moins pendant deux ans, rendant ce sol imperméable. Ce pergélisol existe dans les terres les plus au nord, ainsi que dans les hautes altitudes comme dans les Alpes, et il couvre 90% du Groenland, 80% de l'Alaska, 50% du Canada et de la Russie, et notamment la partie sibérienne. En Sibérie, c'est à peu près tout ce qu'il y a au-dessus de 60 degrés de latitude."

Le permafrost, un marqueur du changement climatique

Il faut se soucier du permafrost "parce que la formation du pergélisol est très étroitement liée aux changements climatiques. C'est pour ça qu'il est surveillé comme un marqueur de ce réchauffement par un réseau mondial de chercheurs qui s'appuie sur des sondages, des mesures de température et surtout, de plus en plus sur un suivi par satellite. Et le dégel rapide pourrait augmenter considérablement les quantités de gaz à effet de serre qui sont émises par les plantes et les anciens animaux qui ont été pris au piège des glaces. Actuellement, le pergélisol représente à peu près 23 millions de km², donc c'est un quart des terres émergées de l'hémisphère nord. C'est énorme".

23 millions de km², cela représente "à peu près 50 fois la France. En plus, le dernier maximum, qui date d'il y a 20.000 ans, lorsque toute la moitié nord de la France était gelée, le niveau de la mer était 120 mètres plus bas. Donc, la fonte du pergélisol est susceptible de créer aussi des mouvements importants des sols, ce qui inquiète, car de nombreuses constructions ou des villes entières comme Yakoutsk en Russie sont posées sur 300 mètres de sol et roches congelées".

Le risque d'une augmentation de plusieurs degrés

La fonte de ce pergélisol, c'est une conséquence gigantesque pour la planète. "Le pergélisol arctique renferme 1.500 milliards de tonnes de gaz à effet de serre. C'est à peu près deux fois de tout le CO2 qui a dans l'atmosphère. C'est 40 fois plus que ce qu'on émet actuellement, qui est à peu près 36 milliards de tonnes. C'est une vraie bombe à retardement. À ce jour, c'est un danger quasi-invisible parce que les émissions n'ont pas vraiment augmenté depuis 20 ans. C'est 600 millions de tonnes, c'est moins de 2% du total. Mais selon une étude britannique, 40% de ce pergélisol pourrait fondre avant la fin de ce siècle. Ce qui fait froid dans le dos.

Il y a un consensus scientifique pour dire que les émissions de mercure, de méthane, de CO2 augmenteront. Le problème, c'est qu'on comprend assez mal cet écosystème arctique pour savoir à quel moment ça va s'emballer. Parce que le vrai sujet, c'est qu'il y a un risque d'effet de réaction en chaîne. Le dégel du pergélisol permet aux déchets organiques de devenir accessibles. Les microbes produisent du CO2, du méthane. Ceci va augmenter également le réchauffement climatique et on est donc dans un cercle vicieux qui s'emballe. C'est ce qu'on appelle une boucle de rétroaction avec des effets qui se démultiplient. Et c'est d'ailleurs au cœur du cri d'alarme que ne cessent de lancer les scientifiques, comme dans le dernier rapport du Giec, fin février, qui a été assez largement ignoré.

Donc, de nombreuses équipes de chercheurs comme le CNRS, l'Université Laval de Québec étudient ces boucles de rétroaction. Certaines prévisions parlent de plusieurs degrés d'augmentation des températures directement dus à cette fonte. Et donc, comme dans d'autres boucles de rétroaction, comme celle du courant nord atlantique, c'est au cœur du phénomène du changement climatique et donc l'impact pourrait être exponentiel."