Bonus-malus pour limiter les CDD : les craintes du Medef justifiées ?

Emmanuel Macron et Pierre Gattaz à l'Élysée, jeudi 12 octobre.
Emmanuel Macron et Pierre Gattaz à l'Élysée, jeudi 12 octobre. © Etienne LAURENT / POOL / AFP
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Thibaud Le Meneec
Le gouvernement réfléchit à instaurer un bonus-malus sur les cotisations patronales, selon le type de contrat employé par l’entreprise. Un système que critique déjà le patronat.

Quel est le point commun entre les automobiles et les contrats de travail ? A priori, rien à voir entre ces deux éléments. Et pourtant : le gouvernement souhaite mettre en place un système de bonus-malus pour cotisations patronales, à l’image de ce qui existe déjà pour les voitures plus ou moins polluantes. Dans les grandes lignes, cela consisterait à alléger les cotisations si l’entreprise a plutôt recours au CDI avec ses effectifs. À l’inverse, une société qui use des CDD verserait davantage à l’Unédic que le taux de 4,05% actuel. L’idée reprend en partie ce qui a été mis en place lors du précédent quinquennat : du printemps 2013 au 30 septembre dernier, plus le contrat était de courte durée, plus les cotisations patronales étaient fortes. Mais à l’époque, il n’y avait que le bâton de la surtaxation. Mettre en place une carotte en forme d’allègements de cotisations est en ceci une véritable nouveauté.

Le Medef farouchement contre. La perspective de nouvelles modulations hérisse Pierre Gattaz, président du Medef : "On a vu que ça n’avait eu aucune influence donc on l’a supprimé (avec l’accord signé en mars dernier, NDLR). (…) Ce n’est pas en taxant les contrats courts qu’on suscitera plus des créations d’emplois. On a démontré ça depuis quatre ans, ça ne marche pas", a-t-il déclaré sur Europe 1, mardi matin, avançant au passage que cela "développerait le travail au noir". Le président du Medef a-t-il raison de se baser sur l’expérience d’une surtaxation des contrats courts pour critiquer le futur système de bonus-malus ?

Un chômage un peu plus faible qu’en 2013. Prenons d’abord les grandes tendances sur le front de l’emploi. Entre 2013 et 2016, le taux de chômage n’a pas réellement varié en valeur relative : il se situe à 9,8%, selon l’Insee, au sens du Bureau International du Travail (BIT). On compte 2.67 millions de chômeurs au premier trimestre 2017, contre 3.01 millions au troisième trimestre 2013, soit environ 340.000 chômeurs de moins en trois ans et demi. Avec une réelle amélioration en 2016 : les employeurs ont déclaré avoir procédé à 6,18 millions d’embauches l’année passée, un bond de 6,4 % par rapport à 2015.

Des CDD toujours plus nombreux au moment de l’embauche. Si l’on se penche sur le contenu de ces emplois, on observe que sur l’année 2016, il y a eu une hausse plus forte du nombre d’embauches en CDI (+9,5%) qu’en CDD (+4%). Mais le taux d’embauche en CDI reste, lui, sur la pente descendante : de 16,4% en 2013, il est passé à 13,8% trois ans plus tard. "86% des embauches se font en CDD à l'heure actuelle, or près de 86% des salariés sont en CDI : cela révèle un marché du travail à deux vitesses qui entretient de la précarité pour de très nombreux actifs", analyse Marc-Antoine Authier, auteurs de travaux sur l’emploi à l’Institut Montaigne, plutôt classé à droite.

" Lors des quatre dernières années, il n'y a pas eu d'impacts évidents de la taxation des contrats courts "

 

"Cette surcotisation n’a pas eu l’effet escompté". Peut-on dire au autant que la modulation des cotisations a été inefficace ? "Lors des quatre dernières années, il n'y a pas eu d'impacts évidents de la taxation des contrats courts, mais il est difficile d'isoler ces effets d'autres mesures", poursuit le spécialiste. Le gouvernement précédant a lui-même reconnu l’inefficacité de cette mesure combattue par le patronat : "Aujourd'hui, on le voit, cette surcotisation n'a pas eu l'effet escompté, puisqu'on est quand même le deuxième pays utilisateur de l'Union européenne de contrats à durée déterminée (CDD) de moins d'un mois", affirmait Myriam El Khomri en mars 2016, au moment de défendre sa loi Travail.

Objectif : soulager l’Unédic. Reste qu’instaurer un bonus, qui pourrait selon Les Echos correspondre à une baisse jusqu’à 2% des cotisations patronales, pourrait convaincre les entreprises d’embaucher en CDI. Avantage collatéral : cela coûterait aussi moins cher à l’Unédic, qui finance aujourd’hui les indemnités des actifs sans emploi. "Cela paraît sain de moduler les cotisations patronales pour intégrer les externalités négatives, liées au recours excessif aux contrats courts dans l'assurance-chômage", résume Marc-Antoine Authier, qui met en garde contre un taux trop élevé de cotisations pour les entreprises friandes de contrats courts : "Il faut y aller avec des pincettes, car le coût du travail en France est le cinquième le plus élevé d'Europe. Il n'est pas sûr que le matraquage à la hausse soit globalement efficace dans un contexte de chômage de masse." Sur ce point, Pierre Gattaz ne dira pas le contraire.