Huawei 3:02
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Huawei dévoile mardi les détails de l'implantation de son usine en France, située à Brumath, près de Strasbourg. Le géant chinois va y produire du matériel pour les réseaux mobiles, notamment 5G, avec 500 emplois à la clé. Une façon pour l'entreprise d'esquiver les sanctions américaines à son encontre et de montrer patte blanche dans un pays qui accueille encore ses investissements.
DÉCRYPTAGE

C’est un projet industriel aussi curieux qu'attendu : Huawei va dévoiler mardi matin les détails de son usine française, annoncée fin décembre. Il s'agit de la première usine de production du géant des télécommunications construite hors de Chine. Huawei a choisi Brumath, près de Strasbourg, pour implanter ce site stratégique, au cœur de l'Europe. Un investissement qui interroge, puisque l’entreprise est accusée d’espionnage par les États-Unis et ostracisée dans de nombreux pays dont… la France. Mais ce choix répond à une stratégie commerciale mûrement réfléchie.

Huawei et la diplomatie du carnet de chèques

Cette usine, véritable symbole, à la fois pour Huawei et pour la France, devrait ouvrir ses portes en 2023, avec 300 emplois dans un premier temps, puis 500 à terme. Le géant chinois va y produire du matériel télécom pour les réseaux mobiles, notamment la 5G. Et depuis Brumath, Huawei desservira toute l’Europe. Une belle opportunité pour Claude Sturni, président de l'agglomération d'Haguenau : "Je ne suis pas prêt à en faire une question politique. On ne discute pas le bien-fondé de l'implantation d'une usine d'armement ou d'agroalimentaire. Ce sont d'abord des emplois, on les veut, on en a besoin. Cette entreprise va créer de la valeur pour toute l'Alsace et même bien au-delà", assure-t-il à Europe 1.

Au total, Huawei va investir 200 millions d’euros dans l'usine de Brumath. C’est la diplomatie du carnet de chèques, pour convaincre l'État et les acteurs locaux que l'entreprise peut contribuer positivement à l’économie. La filiale française génère ainsi, aujourd'hui, 1.000 emplois directs et près d’un milliard d’euros d’achats à des entreprises tricolores. L'idée est donc de faire oublier l'ombre chinoise de la maison-mère. "On est une entreprise française en France", martèle une cadre de Huawei France.

Dans ce but, Huawei sort du cadre économique en investissant dans la recherche fondamentale. Six centres, dédiés notamment aux mathématiques, ont ouvert en France ces dernières années, avec la collaboration de plusieurs médaillés Fields. Pour montrer patte blanche, Huawei s’alloue par ailleurs les services de lobbyistes comme les anciens ministres Jean-Louis Borloo et Jean-Marie Le Guen, administrateurs de la filiale française, respectivement de 2016 à 2020, et depuis 2020.

La France est plus pragmatique que ses voisins

Si Huawei a choisi la France pour installer sa première usine hors de Chine, c'est parce que c'est un pays dans lequel l'entreprise est encore à peu près la bienvenue. Aux États-Unis, c’est impossible, elle est bannie. Idem au Royaume-Uni et ce n’est guère mieux en Allemagne. En France, il y a bien des sanctions puisque les opérateurs télécoms n’ont pas le droit d’utiliser du matériel Huawei dans leur réseau 5G. Mais le géant chinois n’est pas banni, loin de là. "Aujourd’hui, le marché européen devient encore plus important pour nous, presque vital même", expliquait à Europe 1, Minggang Zhang, directeur général adjoint de Huawei France, il y a quelques mois.

À cette occasion, il avait annoncé, au-delà de l'usine, "plus d’investissements en Europe et donc évidemment en France". Sur le plan technologique, cette usine est une bonne nouvelle. Huawei est reconnu par tout le monde comme un leader sur la 5G. "Ils ont deux ans d’avance sur tout le monde", assure un spécialiste français des composants électroniques. "Les gens de Huawei sont bons, voire meilleurs que les autres. L’Europe est en train de se fermer. C’est dommage", abonde le patron d'un opérateur français. 

Le PDG de Huawei est proche du pouvoir chinois

Un savoir-faire reconnu mais qui n'efface pas les critiques qui visent Huawei. Les accusations d'espionnage formulées par les États-Unis sont fondées sur une loi chinoise, qui peut contraindre le fleuron de Shenzhen à transmettre des informations au gouvernement, si celui-ci le demande. Les Américains n'ont cependant jamais fourni de preuves et une telle fuite de données n’a jamais été vérifiée en France. Le lien entre Huawei et l’État chinois, en revanche, est lui établi. Le fondateur et PDG Ren Zhengfei est un ancien cadre de l'Armée populaire de Chine, toujours membre du Parti communiste.

"Huawei n'est pas une entreprise d'État mais elle symbolise l'économie de marché socialiste chinoise. Son capital est détenu en grande partie par ses salariés mais, dans les faits, elle dépend du soutien financier du gouvernement chinois", explique Jean-François Dufour, président du cabinet DCA Chine Analyse. "Si Huawei a connu une telle ascension depuis dix ans, c'est grâce aux énormes financements que lui ont accordé les banques publiques chinoises. Ce n'est donc certainement pas une entreprise indépendante du pouvoir, sa survie dépend de ses relations avec le gouvernement."

Des inquiétudes tenaces sur l'opacité de Huawei

Ce sont précisément ces liens avec le pouvoir qui gênent les partenaires de Huawei. "Il faut une révolution interne sur la transparence et la gouvernance", réclame le patron d’un opérateur télécom français. "Il faut des administrateurs internationaux et une cotation en Bourse, ce n’est pas possible de ne pas savoir qui détient le capital." Du côté de Bercy, on accueille l’usine de Huawei "sans hourras ni suspicions particulières", nous confie un conseiller. "On peut travailler avec Huawei mais sur les secteurs stratégiques, comme les télécoms, on privilégie les entreprises européennes", précisait lundi Franck Riester, ministre du Commerce extérieur et de l’Attractivité, invité de La France Bouge sur Europe 1.

Et puis, il y a un autre sujet : l’usine de Brumath est située dans une zone où sont implantés plusieurs sites militaires, notamment de la branche "Renseignement" de l’Armée de Terre. Une présence qui interroge mais impossible de bloquer l'implantation d'une entreprise privée. "Tant qu'il n'y a pas de risque pour notre souveraineté, ça ne pose pas de problème", fait-on savoir au gouvernement. Reste que, selon un spécialiste de la défense, "c'est toujours suspect quand une entreprise chinoise s'installe près d'un site militaire" et "l’usine sera forcément surveillée de près".

Usine Huawei à Brumath : "La France est prudente"

Antoine Bondaz est enseignant à Sciences Po Paris, au campus Europe-Asie, et chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique. Il était l'invité d'Europe 1 mardi matin :