Après l’échec de la taxe Google, bientôt une "taxe Youtube" ?

12.10.Youtube-logo.LIONEL-BONAVENTURE--AFP.1280.640
LIONEL BONAVENTURE / AFP
  • Copié
INTERNET - Un amendement parlementaire propose de taxer les revenus générés par la vidéo en ligne. 

C’est tout sauf une surprise. A l’occasion du projet de loi de Finances 2017, les députés tentent une nouvelle fois de s’attaquer à la question de la fiscalité des entreprises opérant sur Internet. Trois députés PS (Karine Berger, Bruno Le Roux et Pierre-Alain Muet) ont en effet déposé un amendement qui doit être examiné mercredi. L’objectif est clair : obliger les acteurs du Web à payer le même niveau de taxe que les entreprises classiques. Les sites hébergeant des vidéos sont les premiers visés, si bien que ce texte n’a pas tardé à être baptisé "Taxe Youtube". Mais comme souvent, il est très difficile de réconcilier fiscalité et numérique.

En quoi consisterait cette taxe ? L’amendement propose de créer une taxe sur l’argent généré par les contenus audiovisuels consultés en ligne en France. En cas de service payant, avec la vidéo à la demande (VàD) par exemple, la taxe se base sur le prix payé par l’internaute. Si la vidéo est gratuite – comme c’est le cas sur Youtube ou Dailymotion – la taxe porte sur l’argent que peut gagner son auteur via la publicité ou le parrainage d’une marque. Dans tous les cas, la taxe s’élèverait à 2% des recettes, à une exception près : elle passerait à 10% pour les vidéos à "caractère pornographique ou d'incitation à la violence". Peu importe que le site soit situé en France ou à l’étranger : la taxe concernerait tout contenu diffusé en France.

Le texte prévoit néanmoins plusieurs exceptions. Les bande-annonces et les sites dont la vidéo n’est pas la principale spécialité seraient exonérés. Pour ne pas pénaliser les petites structures, les 100.000 premiers euros gagnés ne seraient pas taxés. De même, les amateurs bénéficieraient d’un abattement de 66% afin de ne pas pénaliser les Youtubeurs de demain.

Pourquoi vouloir instaurer une nouvelle taxe ? La première raison invoquée est celle de l’égalité de traitement. Les services de locations de vidéo à l’ancienne – les vidéoclubs - sont déjà assujettis à une taxe de 2%. Les chaines de télévision s’acquittent également de plusieurs taxes. Pour éviter une différence de traitement, il est donc logique d’instaurer une taxe similaire sur les opérateurs proposant de la vidéo en ligne. Mais derrière cette volonté d’égalité fiscale, ce projet de taxe est aussi et surtout une nouvelle tentative de faire payer aux entreprises numériques leur juste part fiscale.

Les géants du web que sont Google, Apple, Facebook ou encore Amazon profitent de leur capacité à opérer depuis plusieurs Etats pour pratiquer l’optimisation fiscale : l’art de payer le moins d’impôt tout en restant aux limites de la légalité. Le législateur français, comme ses homologues européens, tente donc de trouver un moyen de leur faire payer le même niveau d’impôt que les entreprises classiques.

Une taxe aux nombreuses zones d’ombre. Si on peut comprendre que le législateur souhaite rétablir un minimum d’équité fiscale entre l’économie physique et le commerce en ligne, et entre les acteurs français et les étrangers, le texte suscite de nombreuses questions. En visant les sociétés spécialisées dans la mise à disposition de vidéos gratuites, la taxe cible clairement des entreprises telles que Youtube, Dailymotion ou Vimeo. Comment considérer alors Facebook, dont le cœur de métier n’est pas la vidéo mais qui en héberge de plus en plus ?

De même, le fait que les sites d’informations produisent avant tout des articles devrait leur permettre d’y échapper. Les services de rattrapage proposés par les chaines de télévision seraient aussi épargnés, mais qu’en est-il de leurs contenus conçus exprès pour Internet ? Comment seront traités les sites de radio, qui diffusent de plus en plus d’émissions en direct et en rattrapage, à l’image d’Europe 1 et de ses 17 heures de vidéo quotidiennes ?  

Autre question : l’amendement propose un abattement de 66% pour les vidéos réalisées par des "utilisateurs privés à des fins de partage et d’échanges au sein de communautés d’intérêt". En clair, il s’agit des amateurs. Mais à partir de quand un Youtubeur cesse-t-il d’être considéré comme un amateur et devient-il un professionnel ? Les plus connus en France, tels que Norman ou Cyprien, n’ont plus rien à voir avec le lycéen qui s’amuse dans sa chambre de manière artisanale. En proposant une franchise de 100.000 euros, l’amendement semble en tout cas vouloir éviter de toucher à la quasi-totalité des Youtubeurs.

Les acteurs du Web n’en veulent pas. Sans surprise, les principaux concernés n’ont pas tardé à réagir pour dire tout le mal qu’ils en pensent. Ainsi, l’Association des services internet communautaires (Asic) "demande aux parlementaires qui débutent l’examen du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, de ne pas adopter une telle disposition qui impacterait gravement la création sur Internet".

Et cet organisme – qui regroupe par exemple Dailymotion, Deezer, Google ou encore Facebook – d’argumenter qu’il est contestable de vouloir taxer les jeunes créateurs de vidéo pour financer le secteur du cinéma dont ils ne font pas partie et ne profitent pas. D’autant plus que les films ainsi financés ne se retrouvent presque jamais sur Youtube, Dailymotion ou Facebook. En outre, cette taxe risque d’affaiblir les comptes des sites des chaines de télévisions classiques alors que ces dernières rencontrent déjà des difficultés financières et peinent à attirer les plus jeunes sur leurs sites.

De la difficulté à faire payer les entreprises du web. Si cet amendement est un nouveau signal envoyé aux professionnels d’Internet, on est encore loin du coup de semonce. En effet, ce n’est pas la première fois que les députés et sénateurs tentent de trouver la bonne recette fiscale pour le numérique, des essais qui n’ont jamais abouti. C’est ainsi que, suite au rapport Zelnik, le sénateur Marini a déposé fin 2010 une proposition d’amendement prévoyant déjà d’instaurer une taxe sur les revenus de la publicité en ligne, à hauteur de 1%. Cette proposition, alors baptisée "taxe Google", a finalement ét abandonnée sous la pression de Bercy après avoir été vivement critiquée par le Conseil national du numérique (CNN) ou encore par l’Asic. Un autre amendement allant dans le même sens fut déposé par les sénateurs communistes en septembre 2013 avant d’être lui aussi rejeté.

Ces nombreux échecs montrent la difficulté de trouver la bonne solution fiscale pour imposer les acteurs du web. Un rapport publié en janvier 2013 par le ministère de l’économie et des finances résume la situation : n’étant pas définitivement liées à un territoire, les entreprises du numérique peuvent plus facilement s’adapter pour contourner une mesure fiscale. Dans l’idéal, il faudrait donc que les Etats européens se mettent d’accord sur une règle commune pour empêcher les entreprises de s’y soustraire en Europe. En attendant, toute nouvelle taxe votée en France serait surtout payée par les acteurs français, et non par les poids lourds qu’elle est censée cibler et qui sont majoritairement américains. Au lieu de remettre les acteurs français et leurs concurrents étrangers sur un pied d’égalité, une telle taxe pourrait au contraire renforcer cette inégalité de traitement. Le casse-tête de la fiscalité du numérique a encore de beaux jours devant lui.