Jupiter's Legacy : sur Netflix, les super-héros vieillissent et font de la politique

  • Copié
, modifié à
Netflix dégaine vendredi sa nouvelle série, "Jupiter's Legacy", qui met en scène des super-héros vieillissants dans une Amérique en crise. Adaptée d'un comics de Mark Millar, cette œuvre politique aborde le délitement des sociétés modernes et le fossé des générations avec une nuance inattendue.

Super-héros et politique peuvent-ils faire bon ménage ? C'est la question centrale de Jupiter's Legacy, nouvelle série héroïque diffusée sur Netflix à partir du 7 mai. Adaptée de comics publiés en 2013, elle a la particularité de mettre en scène des personnages qui n'ont rien à voir avec les super-héros habituels de Marvel ou DC Comics. Les justiciers costumés de la série sont ceux de l'Union, un groupe créé au début des années 1930 par un groupe d'amis ayant acquis des pouvoirs sur une île mystérieuse. Des décennies plus tard, ils ont vieilli et ne semblent plus adaptés au monde moderne. Laisseront-ils leur place ou s'accrocheront-ils coûte que coûte ?

Pour les super-héros, la vieillesse est-elle un super-naufrage ?

La première originalité de Jupiter's Legacy est de présenter des super-héros vieillissants. Avec ses longs cheveux blancs et ses chemises à carreau, Sheldon Sampson, alias Utopian, le leader de l'Union, ressemble plus à un vieux bûcheron qu'à Superman. Avec son frère Walter, alias Brainwave, c'est lui qui a fondé le groupe de héros dans la foulée de la Grande Dépression, alors que l'entreprise de son père avait fait faillite et que l'Amérique était au bord du gouffre. Avec Grace Kennedy (Lady Liberty), la femme de Sheldon, ils sont les trois derniers membres fondateurs encore en activité 90 ans plus tard.

La série alterne entre l'époque actuelle et des flash-backs dans les années 1930 racontant la découverte de leurs pouvoirs par les six membres de l'Union. Par la suite, Sheldon et ses amis ont sauvé le monde pendant des décennies. Mais le poids des années les rattrape : leurs cheveux blanchissent, leurs pouvoirs s’affaiblissent… Surtout, ils ne reconnaissent plus une Amérique en pleine crise sociale et économique. "Malgré toutes ces années, malgré tout ce que l'on a sacrifié, le monde part en lambeau", se lamente Utopian, désabusé, dans le premier épisode.

Le super-héros, un animal politique comme les autres

Loin d'être une comédie s'amusant du décalage entre ces super-héros au glorieux passé et une époque qui leur échappe, Jupiter’s Legacy s'oriente plutôt du côté de la fable politique et interroge le rôle des super-héros. La série questionne ainsi, dès la scène d'ouverture, la célèbre maxime de Spider-Man : "un grand pouvoir implique de grandes responsabilités". Oui, mais jusqu’où ? Jusqu'où les super-héros doivent-ils s'impliquer dans la société ? Le sujet divise Walter et Sheldon, les deux frères fondateurs de l’Union, et constitue le nœud, habilement noué, de l'histoire. 

Très vite, la série oppose deux visions du super-héros. D'un côté, Utopian s'agrippe à l'idéal des justiciers apolitiques et à son "code" : "on ne tue pas, on ne dirige pas, on inspire". Partisan du libre-arbitre, traumatisé par le souvenir de son camarade Skyfox devenu un terroriste au nom de ses idéaux de justice, il assume de ne pas être intervenu lors de la Seconde guerre mondiale ou au Vietnam. En face, son frère Brainwave ne supporte plus cet attentisme. Estimant que le monde change et que le mal se niche dans la tête des politiciens corrompus, des industriels véreux et des tueurs de masse, il aimerait s'impliquer davantage en politique pour redresser la barre d'un monde en perdition.

600 x 300 (3)

© Netflix

Loin d'être binaire, cette opposition dépasse le cadre super-héroïque de la sérieJupiter's Legacy est d'abord une critique acerbe de notre monde, ciblant particulièrement l’inefficacité de l’action politique et la lente pente glissante vers le tout sécuritaire. Interventionnisme ou libéralisme ? Libre-arbitre ou contrôle "avisé" des masses ? Chaque spectateur se retrouvera dans l'une et/ou l'autre des deux visions de la société proposées par la série. Cela peut surprendre mais ici, les mots cognent plus fort que les poings. Heureusement d’ailleurs car les scènes de combat sont globalement ratées, la faute à une mise en scène pataude et des effets spéciaux un peu "cheap".

Dur, dur d'être un enfant de super-héros

Plus bavarde et politique que portée sur l'action, Jupiter's Legacy rappelle par moment The Boys, autre œuvre critique du genre super-héroïque. Mais elle s'en distingue par un autre thème majeur : la passation de pouvoirs entre générations. Outre ses interrogations personnelles sur son rôle, Sheldon doit gérer les aspirations de ses deux enfants, Brandon et Chloé. Le premier tente de marcher dans les pas de son père en devant un super-héros, le Parangon. Maladroit et pas toujours efficace dans le feu de l'action, il ne trouve malheureusement pas grâce aux yeux de son paternel qui ne cesse de lui faire la morale et de lui demander d'être "un idéal".

600 x 300 (2)

© Netflix

Mais Utopian a encore plus de mal avec sa fille. Bien qu'elle ait elle aussi des pouvoirs, Chloé rejette la vie super-héroïque de ses parents. Mannequin et influenceuse, elle préfère les shootings photo aux combats en costume et abuse de l'alcool et de la drogue. Source de conflit avec sa famille, sa volonté de vivre sa vie est totalement impensable aux yeux de son père. Pendant qu'il la blâme parce qu'elle n'utilise pas ses pouvoirs pour faire le bien, elle l'accuse de faire peser sur ses épaules un fardeau qu'elle n'a jamais désiré.

Un casting sans étoiles mais au diapason

C’est là que le titre de la série prend tout son sens : Jupiter’s Legacy, "l’héritage de Jupiter", l’héritage de Dieu en quelque sorte. Au fil des épisodes se développe une réflexion intéressante sur la pression qui pèse sur les générations Y et Z, celles qui ont grandi de crise en crise. Faut-il forcément être aussi bon, voire meilleur que son père ou sa mère ? Vous avez 4h. Et là encore, la réflexion est plus subtile qu'attendu pour ce genre de série. Brandon et Chloé, loin d'être engoncés dans des archétypes stériles, se révèlent complexes et surtout mouvants. Sur ce point, la série est proche d'Invincible, autre histoire de super-héros iconoclastes.

600 x 300 (5)

© Netflix

Naviguant entre drama émotionnel à la HBO et série de super-héros classique, Jupiter's Legacy adopte un rythme étonnamment lent, ponctué ici et là de rebondissements malheureusement un peu trop prévisibles. Bavarde, elle fait la part belle à la nuance et à des personnages qui ont le mérite de sortir des carcans du genre. Et le casting, loin d'être luxueux avec Josh Duhamel en "tête d'affiche", se coule parfaitement dans la galerie de héros. Mention spéciale à Ben Daniels, parfait dans le rôle ambigu de Walter/Brainwave.

La série c'est bien, les comics c'est mieux !

Si la série se laisse regarder, on ne saurait que trop vous conseiller de doubler le visionnage par une lecture des comics. La version papier de Jupiter's Legacy est une petite bombe, très courte, avec dix chapitres répartis en deux volumes (édités en France par Panini Comics). Le scénario est signé Mark Millar, l'un des plus grands auteurs de comics du 21ème siècle. On lui doit notamment Captain America : Civil War, Wanted, Kick-Ass et Kingsman, tous adaptés au cinéma. Son écriture, dense et percutante, contraste avec les multiples détours empruntés par la série.

600 x 300 (4)

© Panini Comics

L'avantage des comics est accentué par l'existence d'un troisième tome, Jupiter’s Circle, publiée en 2015, deux ans après Jupiter's Legacy. C’est un prequel, qui raconte l’âge d’or des super-héros de l’Union, dans les années 1950-60, période qui sert de référence aux actes des personnages dans la série de base. Sauf que cette histoire complémentaire rebat totalement les cartes et change la perception des héros que l'on se fait à la lecture de Jupiter's Legacy. Sans en dire trop, elle teinte leur supposée vertu d’une bonne dose d’hypocrisie. L'ultime twist d'une œuvre brillante.