Culture : les craintes de Frédéric Beigbeder face au risque d'un "monde chiant"

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Mathilde Durand , modifié à
Dans "Bibliothèque de survie", aux éditions de l'Observatoire, Frédéric Beigbeder dévoile un top 50 de ses œuvres préférées, en écho avec notre époque. De Colette à Brest Easton Ellis, il défend les œuvres littéraires et refuse "l'aseptisation" au nom de la culture "woke".
INTERVIEW

Prendre de la hauteur sur la réalité et regarder le monde tel qu'il est. Frédéric Beigbeder rend hommage à ses œuvres littéraires préférées dans son nouvel ouvrage Bibliothèque de survie, publié aux éditions de l'Observatoire, mercredi. Il dresse un "panthéon littéraire" de romans souvent insolents, classiques ou récents, à lire ou à relire. Des œuvres qui trouvent un écho avec notre époque, selon l'auteur, qui fustige dans sa préface "la culture woke" qui "corrige et censure". "N'essayons pas de corriger le passé, d'aseptiser les expositions, les films, les livres, les disques parce qu'on vivra dans un monde chiant", alerte-t-il sur Europe 1.

Colette, Molière, Thomas Mann...

Dans un top 50 guidé par "la liberté, le style, la quête de beauté, l'émotion", l'auteur et critique littéraire place en haut de la liste Le pur et l'impur de Colette, paru en 1932, dont il trouve une résonnance actuelle. "Ce titre m'intriguait. Le pur et l'impur, c'est un peu la guerre où l'on se trouve aujourd'hui. Entre deux camps qui finalement sont en nous", explique-t-il. A l'époque, l'ouvrage fait scandale. "Colette a été victime de la cancel culture à l'année de la publication du texte. Elle a cette innocence de refuser de choisir entre le vice et la vertu. Et je trouve que ça fait du bien", souligne Frédéric Beigbeder.

Dans son panthéon, on trouve une autre œuvre déchainant les passions : American Psycho, de Bret Easton Ellis. "Ils existent les personnages insupportables et le roman est un miroir. On doit pouvoir regarder le monde tel qu'il est. Ce que je ne comprends pas, c'est la démarche qui consiste à aseptiser les œuvres d'art, c'est s'aveugler sur le monde", confie l'auteur.

Se mêlent ensuite Molière, Beauvoir, Thomas Mann ou encore l'écrivain collaborationniste Jacques Chardonne, que Frédéric Beigbeder qualifie de "salopard politique" tout en défendant "le contraste entre les graves erreurs faites et la simplicité et la pureté de son style". "Il parle très joliment des femmes et de l'amour. C'est ce qui est fou", souligne l'auteur. "Ca m'amène à penser qu'il faut vraiment distinguer l'œuvre de l'artiste."

Une philosophie "proustienne"

Une philosophie qui s'inspire de Marcel Proust, distinguant le "moi social" du "moi intérieur" qui écrit le livre. "En tant que critique littéraire, je n'ai pas envie d'avoir à faire des enquêtes sur le casier judiciaire de chaque auteur. Je suis plutôt là pour juger le texte", rappelle-t-il.

Un combat qu'il rappelle dans sa préface, dénonçant "l'empire du bien". "Pour l'instant en France, la situation est moins grave qu'aux Etats-Unis", souligne-t-il. "Ce qui fait peur c'est qu'on récupère les modes américaines avec 5 ou 10 ans de retard, donc c'est maintenant qu'il faut s'inquiéter et alerter les gens en leur disant de ne pas juger les artistes sur autre chose que leur travail."

"Ne soyez pas offensé par une œuvre littéraire. Les œuvres littéraires sont peut-être là pour vous choquer, et c'est très bien comme ça", conclut-il.