Cannes : aux origines du plus grand festival du monde

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Guillaume Perrodeau
La 72e édition du Festival de Cannes s’est ouverte mardi soir. Pendant plus de dix jours, des stars du monde entier vont défiler sur la croisette. Un rendez-vous culturel et glamour, créé avant la Deuxième Guerre mondiale, afin de défier la Mostra de Venise, tenue par les puissances fascistes.

Des centaines de films projetés, des stars internationales qui défilent sur le tapis rouge, plus de 4.000 journalistes accrédités, 12.000 professionnels présents pour le marché du film : le Festival de Cannes est LE plus grand rendez-vous du cinéma au monde. Mais l'événement ne se résume pas à sa Palme d’or et des considérations artistiques. Le Festival de Cannes doit sa création à des motivations aussi bien politiques qu’artistiques. Une histoire que vous raconte Fabrice d'Almeida, spécialiste histoire d'Europe 1, dans un nouvel épisode d'"Au cœur de l’histoire", produite par Europe 1 Studio.

 

Écoutez "Cannes : les grandes histoires d'un festival", par Fabrice d'Almeida dans "Au cœur de l'histoire"

 

Le règne de la Mostra de Venise

Créée en 1932, la Mostra de Venise est la plus grande fête mondiale du cinéma dans les années 1930. Mais en 1937, un événement va radicalement changer la donne. Le chancelier allemand, Adolf Hitler, constate amèrement que les films de son pays n’ont reçu aucune récompense importante lors de cette édition. Pire, le festival a récompensé du Prix du meilleur ensemble artistique à La grande illusion de Jean Renoir. "Un film pacifiste qui évoque le destin des prisonniers français pendant la Première Guerre mondiale, donnant, au passage, une image peu glorieuse de l’Allemagne", souligne le spécialiste histoire d'Europe 1. Le succès remporté par le long-métrage de Jean Renoir n’est pas du tout du goût du chancelier allemand. Alors pour l’édition suivante, il est bien décidé à ce que ce genre d’événement ne se reproduise pas.

L’ingérence d’Adolf Hitler

En 1938, les deux puissances fascistes décident de s’entendre. Alors que le jury se réunit pour décider des lauréats, Adolf Hitler, avec l’aide de Benito Mussolini, intervient et parvient à faire modifier le palmarès. Le festival consacre ainsi le documentaire de propagande Les dieux du stade de Leni Riefenstahl et Luciano Serra, pilote de Goffredo Alessandrini, dont le scénario a été supervisé par le fils du Duce.

Au sein du jury, l’amertume est totale. Les représentants de la France, des États-Unis et de la Grande-Bretagne quittent la Mostra, bien décidés à ne plus y revenir. Un homme, Philippe Erlanger, directeur de l'Association française d'action artistique, décide alors de créer festival concurrent.

La contre-attaque française

Avec Émile Vuillermoz et René Jeanne (membre français du jury de la Mostra), Philippe Erlanger va prendre les choses en main. L’objectif ? "Donner au monde un festival libre, sans pression politique ni contrainte extérieure", détaille Fabrice d'Almeida. Ils font part de leur projet, soutenu par les Britanniques et les Américains, aux responsables politiques français et notamment Jean Zay, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. L’idée est d’abord rejetée par le pouvoir politique français, qui craint d’envenimer les relations franco-italiennes, avant d’être finalement acceptée au printemps 1939.

Les médias annoncent la création du Festival de Cannes, dont l’ouverture est prévue le 1er septembre de cette même année. Philippe Erlanger en sera le premier délégué général. "Mais c'est là que l’Histoire avec sa grande hache va interrompre le plan ambitieux de Philippe Erlanger", raconte Fabrice d'Almeida. Le 1er septembre, les troupes allemandes envahissent la Pologne, la guerre est déclarée et la mobilisation générale lancée. Le festival ne peut avoir lieu. La première édition se déroulera finalement en septembre 1946. Le début d’une nouvelle histoire pour le septième art. Les prémices de ce qui deviendra le plus grand festival de cinéma au monde, reléguant au second plan la Mostra de Venise et la Berlinale (créée en 1951).

La politique, jamais très loin...

Après une création intimement liée à la situation européenne de l'époque, le Festival de Cannes aurait pu poursuivre sa route, loin de la politique. Cela n'a jamais été le cas. Censure du documentaire Nuit et brouillard en 1956, interruption du festival en raison de Mai 1968, polémique autour du sacre du film Underground d'Emir Kusturica, autant d'épisodes politiques qui ont marqué la grande histoire du Festival de Cannes, et dans lesquels vous replonge Fabrice d'Almeida dans cet épisode d'"Au cœur de l’histoire".