Pourquoi les hymnes sud-américains sont chantés a capella

Les joueurs de la Seleçao survoltés après l'hymne chanté a cappella.
Les joueurs de la Seleçao survoltés après l'hymne chanté a cappella. © Reuters
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Charles Carrasco à Rio de Janeiro au Brésil , modifié à
EN DIRECT DE RIO - Supporters et joueurs entonnent l'hymne sans musique. Une coutume brésilienne reprise par les délégations colombiennes et chiliennes lors de ce Mondial. 

Neymar en larmes. Il y a eu Pelé, il y a eu Ronaldo. Il y aura peut-être Neymar. Les Brésiliens attendent tous ça. Depuis le début de la Coupe du monde, le jeune attaquant de la Seleçao porte, presque a lui, seul tous les espoirs de la nation brésilienne, qui croit ferme en un 6e sacre sur ses terres. Mais pour un jeune joueur de 22 ans, c'est un poids pas toujours facile à porter…

Nous sommes le 17 juin 2014. Les hommes de Scolari ont réussi le match d'ouverture de leur Mondial face à la Croatie, cinq jours plus tôt. Ils doivent maintenant assurer leur qualification pour les 8e de finale face aux coriaces Mexicains. Les 11 Brésiliens se présentent face aux caméras du monde entier. Visage grave, ils entonnent l'Hino nacional brasileiro. Le disque s'interrompt. Pourtant, dans les tribunes, on continue de chanter, avec intensité. Neymar fond en larmes. L'image a fait le tour du monde.

>>>Le fait de chanter au-delà du temps imparti est devenu une véritable mode depuis la Coupe des confédérations en 2013. A la suite du Brésil, plusieurs pays sud-américains s'y sont mis aussi. Europe1.fr revient sur ce phénomène musical de l'été.

 La Fifa autorise 90 secondes. Le Brésil est-il dans les règles lorsqu'il chante l'hymne au-delà de la musique ? En théorie, non. La FIFA limite les hymnes d'avant match à 90 secondes. Sauf que celui des "Ouro y verde" n'est pas vraiment taillé pour puisqu'il dure rien de moins que 4 minutes, avec un prélude de vingt secondes sans parole. Pour ce Mondial, le Brésil a fourni une version d'une minute. Malgré les entorses au règlement de plusieurs pays sud-américains, la FIFA a fait savoir qu'elle n'envisageait pas de changer la règle. Pour l'instance suprême du ballon rond, chaque seconde d'un match de football télévisé compte !

 Ses origines. L'origine de ces chants a capella démarre, un an plus tôt, dans le même stade, lors d'un soir de match de la Coupe des confédérations, organisée au Brésil face au même adversaire mexicain. Le 19 juin 2013, la Seleçao se présente pour son deuxième match du groupe. A la fin de la musique composée par Francisco Manuel da Silva, poussés par les supporters, les joueurs continuent de s'égosiller pour porter le plus haut possible les paroles. Thiago Silva, le capitaine, a comme à son habitude les yeux fermés, comme pour mieux contenir son émotion. Le gardien, Julio César, ne tient plus en place. Quant au latéral gauche, Marcelo, il semble électrisé. L'équipe et les Brésiliens, la main sur le cœur, chantent à l'unisson. Ce soir-là, lors de la Coupes des Confédérations, la Seleçao avait, semble-t-il, tracé sa route avec le public jusqu'au Mondial.

 Ecoutez, le commentateur du match est très surpris :

 

Une forte contestation. Si ce premier chant a capella a été chanté de façon spontanée par le "Seleçao", il s'inscrit dans un contexte social très tendu. Et pourtant, à quelques centaines de mètres de là, le football n'a jamais été aussi contesté au pais do futebol. L'addition du Mondial -aujourd'hui de 11 milliards d'euros- suscite l'ire de Brésiliens qui réclament des investissements dans la santé, l'éducation et des transports moins chers… Cet été-là, le Brésil connaîtra des manifestations monstres dans tout le pays.

 "Les joueurs brésiliens ont essayé de montrer à la fois leur amour du football et leur amour du pays. Et cela a été repris par les supporters qui, par leur action, ont voulu signifier que, malgré la contestation, ils ont un rapport profond, presque charnel au ballon rond. C'est une affaire de sentiments", assure Fernando Segura, un sociologue du sport, interrogé par Europe 1.  

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© Reuters

 Pourquoi les Brésiliens chantent-ils a capella ? Les chants a capella sont aussi et surtout un moyen pour les joueurs de se donner un supplément d'âme, de se transcender. "Quand nous entendons l'hymne chanté comme ça, nous sommes encore plus motivés. Les supporters sont avec nous. C'est devenu une partie intégrante de l'équipe nationale et ça a eu une grande influence sur la manière dont nous jouons", affirme Thiago Silva, le capitaine de l'équipe brésilienne. Mais cela permet aussi d'impressionner le camp d'en face : "je pense que ça va être tout le temps comme ça maintenant. Les rivaux doivent venir préparés psychologiquement", renchérit Neymar.

Claudio, un carioca, supporter brésilien qui a été arbitre, a "toujours vécu avec fierté ce moment solennel". Quand il a entendu la première fois l'hymne a cappella chanté par tout le stade, il en a eu "la chair de poule". "Dès les premières notes, je sais tout de suite que je suis né ici. C'est presque en moi. Je suis patriote mais c'est au-delà de ça. C'est quelque chose que vous ressentez dans les tripes et qui grandit à l'intérieur de vous", assure-t-il à Europe 1, des tremolos dans la voix.

 Une identité nationale forte en Amérique du sud. Cette coutume d'avant match a été reprise par les délégations colombiennes et chiliennes lors de ce Mondial qui réussit pour l'instant très bien aux nations sud-américaines avec cinq équipes en huitièmes de finale (sur six possibles). "C'est une source de motivation supplémentaire de voir que tant de Chiliens appuient la sélection", s'enflamme Carlos Carmona, l'entraineur de la sélection. "Nous avons tous la chair de poule quand nous l'écoutons", poursuit-il.

Costauds, les poumons chiliens :

"Le sport et notamment le football en particulier, c'est une question d'identité nationale pour beaucoup de pays latinos américains", analyse Fernando Segura. Mais ce n'est pas nouveau comme pratique. L'équipe de rugby d'Argentine l'avait déjà fait lors de plusieurs Coupes du monde. "Pour les Equatoriens, les Chiliens, et pour d'autres nations qui ne sont pas à ce Mondial, comme le Pérou ou le Venezuela, se joue aussi une question d'identité. Ce sont des pays jeunes, et le football fait partie de la création d'un sentiment d'unité nationale", explique encore ce chercheur. Au Brésil, par exemple, l'hymne national est enseigné à l'école. Mais ses paroles, écrites par Joaquim Osorio Duque Estrada, sont issues d'un portugais archaïque. Beaucoup de citoyens le connaissent de façon imparfaite. "C'est du patriotisme, voire du nationalisme parfois, mais ce n'est pas mal vu dans le contexte sud américain comme ça peut être le cas en Europe", nuance Fernando Segura.  

Caludio, ce supporter brésilien, s'essaye a cappella. Dur dur !

Un supporter brésilien chante l'hymne a cappellapor Europe1fr

Ouviram do Ipiranga as margens plácidas 
De um povo heróico o brado retumbante. 
E o sol da Liberdade, em raios fúlgidos, 
Brilhou no céu da Pátria nesse instante.
Se o penhor dessa igualdade 
Conseguimos conquistar com braço forte, 
Em teu seio, ó Liberdade, 
Desafia o nosso peito a própria morte !

Les rives calmes de l'Ipiranga ont entendu
L'appel retentissant d'un peuple héroïque. 
Et le soleil de la liberté, de ses rayons fulgurants, 
brilla dans le ciel de la Patrie en cet instant.
Si le garant de cette égalité,
Nous l'avons conquis par la force de nos bras,
En ton sein, ô Liberté,
Notre courage défiera même la mort !

"Le football est un monde un peu à part où toutes les dimensions de la société sont représentées. Parfois, il y a des gens qui sont contre les gouvernements fédéraux. D'autres pour. Mais lorsqu'il y a un match de football, on a le sentiment que se recrée une certaine unité nationale. C'est un moment où le temps s'arrête", souligne le sociologue. Cela explique en grande partie le paradoxe brésilien : très critiquée, cette Copa n'en est pas moins suivie par presque tout le monde. "Quant la Seleçao joue, même les mécontents retrouvent une forme d'amour pour leur pays, incarné par sa sélection", conclut-il. Ce qui ne veut pas dire que la colère s'est éteinte et ne repartira pas après…

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