"Un radicalisé n’est pas modifié génétiquement, il n’est pas irréparable"

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Caroline Politi
Le projet Practicies qui lutte contre la radicalisation religieuse vient de recevoir plus de 3,5 millions d’euros de financement européen. Entretien avec le coordinateur du projet.  

3,5 millions d'euros de financement ont été accordés par l'Europe au projet Practicies pour améliorer la prévention à la radicalisation religieuse. Entretien avec Séraphin Alava, enseignant-chercheur à Toulouse et coordinateur du projet.

"On a l’impression que jusqu’à présent toutes les tentatives de lutte contre la radicalisation ont échoué. Dernièrement, on s’est aperçu que le centre de désembrigadement ouvert en grande pompe en septembre est vide. Peut-on parler d’un échec ?

Non, certains jeunes ont été déradicalisés mais c’est comme pour la mafia, ce n’est pas parce qu’il y a des repentis que les organisations mafieuses ont disparu. Un radicalisé n’est pas modifié génétiquement, il n’est pas irréparable mais il faut du temps. Or, la société est peu indulgente. Elle veut régler le problème immédiatement alors qu’une prise de conscience est longue et parfois laborieuse. Mais plus on s’y prend tôt, plus les chances de le sortir rapidement d’une idéologie mortifère sont importantes.

En quoi le projet Practicies est différent des autres projets?

L’objectif est de mettre en place des outils concrets pour permettre de repérer les signes de radicalisation le plus en amont possible. Nous sommes en train de développer un logiciel de contrôle parental qui permettra d’analyser les discours et de repérer si les sites consultés par les adolescents peuvent laisser supposer une radicalisation. De la même manière, nous sommes en train de mettre en place des mallettes pédagogiques à destination des parents pour les aider à distinguer les discours de rupture classiques à l’adolescence de ceux plus inquiétants.

On a l’impression que les pouvoirs publics ne parviennent pas à prendre une orientation claire sur la question et tâtonnent…

Le sujet de la radicalisation religieuse est récent. Il n’a pas plus de quatre ou cinq ans. Il faut laisser le temps à la recherche de progresser pour cerner au mieux le problème et donc apporter des réponses adaptées. On ne répond pas à toutes les formes de radicalisation de la même manière. Pour un jeune un peu « perdu » qui se tourne vers cette idéologie, l’objectif principal sera d’abord de le réinsérer socialement. Pour quelqu’un sous emprise mentale, il faut lui faire prendre conscience des mécanismes d’embrigadement, exactement comme pour une secte. Il faut également laisser le temps aux professionnels de se former. Apprendre l’arabe par exemple, avoir une bonne connaissance de l’islam… Mais on n’éradiquera jamais totalement le problème : aucune société ne fonctionne avec zéro délinquance.

Vous inspirez-vous d’autres expériences européennes en matière de prévention ou de déradicalisation ?

Oui, certaines pratiques européennes sont très intéressantes. On a remarqué que beaucoup de jeunes attirés par le djihad sont d’abord motivés par un besoin de se sentir utiles. Il faut repositionner cette envie vers des engagements citoyens. A Madrid, par exemple, les associations détournent l'intérêt de ces jeunes pour la Syrie en les poussant à s’engager dans le soutien aux migrants par exemples. L’idée est de leur montrer que la solution n’est pas forcément de se révolter mais plutôt d’être actifs. L’autre élément déterminant est de ne pas opposer deux idées radicales. En France, par exemple, féministes et associations de femmes musulmanes s’opposent, parfois violemment, sur la question du voile alors qu’en Autriche ou en Grèce des mouvements communs sont nés autour de l’éducation des jeunes filles. Il faut parvenir à fédérer et non à diviser."