TÉMOIGNAGE - "Restez chez vous, c'est mieux que chez nous" : le cri d'alarme d'une aide-soignante

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Les soignants sont désormais en première ligne face à la pandémie de Covid-19. © Cedrick-Isham CALVADOS / AFP
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Salomé Legrand, édité par Tiffany Fillon
Trois ans qu'Élise Muller est aide-soignante. Pendant trois ans, elle ne pensait pas un jour connaître une pandémie. Au micro d'Europe 1, elle dit être "au front" face à l'épidémie de Covid-19. Afflux de malades, angoisse face à la mort et parfois, quelques épisodes plus lumineux... Élise Muller décrit son quotidien à l'hôpital Lariboisière à Paris. 
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Elle est l'un des soldats dans la guerre contre le Covid-19. Élise Muller, diplômée depuis trois ans est aide-soignante dans le service de réanimation de l’hôpital Lariboisière, à Paris. Inquiète par l'évolution de l'épidémie, elle raconte au micro d'Europe 1 son quotidien marqué par l'afflux de malades, l'impuissance face à la mort et les rares moments lumineux qui l'aident à tenir le coup. 

Le service de réanimation de l'hôpital Lariboisière est saturé. Élise Muller le constate tous les jours avec impuissance. "C'est violent de voir ces gens en détresse et de voir qu'il y en a autant d'un coup", raconte Élise Muller. "Dès qu'un patient s'en va, la chambre ne reste pas libre longtemps. Trente minutes après, on nous annonce une nouvelle entrée." Face à cet afflux de patients, les soignants ont dû s'adapter. "L'équipe a triplé de volume et on a poussé les les murs", assure-t-elle. 

La "sensation que quelque chose nous échappe"

Hormis le nombre inquiétant de malades, c'est aussi leur état qui bouleverse Élise Muller. "Ce qui est très spécifique au Covid-19, c'est que le patient peut arriver conscient et une heure après il se retrouve sédaté et intubé. La dégradation survient très rapidement", décrit-elle. Un phénomène qui renforce la pression psychologique, selon elle. "Moralement c'est difficile. Parfois, on a la sensation que quelque chose nous échappe", ajoute Élise Muller.

Parmi tous les patients qu'elle a croisés, l'un d'entre eux l'a particulièrement marquée. "Je me souviens de ce jeune homme de 33 ans qui est arrivé chez nous sans antécédent particulier. Il s'est retrouvé intubé et sédaté. Malheureusement, il est décédé trois jours plus tard. Ça va vraiment vite. On a très peu de répit", déplore-t-elle.

La charge psychologique est d'autant plus lourde qu'Élise Muller est aussi confrontée aux familles des victimes. "Je repense à cette dame qui est décédée. On a du accompagner ses trois filles dans la chambre pour qu'elles lui disent au revoir. Il fallait éviter qu'elles lui fassent des câlins puisqu'elle était infectée par le Covid-19. La tension était très palpable", se souvient-elle. 

"Je ne pensais pas que j'allais vivre une pandémie"

Élise Muller explique ne pas avoir été préparée à une telle hécatombe. "Cela fait trois ans que je suis diplômée. Je ne pensais pas que j'allais vivre une pandémie", dit-elle. 

Malgré cette réalité morbide, quelques moments de joie l'aident à surmonter le quotidien. Elle évoque ces "petites choses qui font plaisir" et qui "aident à garder le moral". Comme l'évolution de l'un des premiers patients intubés dans son service. "Il est passé par toutes les complications possibles. On l'a extubé mercredi dernier et il a pu parler. Ses premiers mots nous étaient consacrés : il nous a dit merci et que l'on avait fait un travail formidable", se remémore Élise Muller. "Je lui ai prêté le téléphone de l’accueil pour qu'il puisse parler à sa femme qu'il n'avait pas vue ni entendue depuis deux semaines." 

Difficile alors, pour l'aide-soignante de se contenir. "Je l'ai laissé tout seul et je suis vite partie parce que je sentais l'émotion me gagner", se souvient Élise Muller. 

Ces épisodes qui adoucissent la dureté du quotidien ne viennent pas toujours de l'intérieur de l'hôpital. Élise Muller remercie par exemple "tous ces particuliers et ces chefs qui se sont réunis pour nous faire à manger". "Ces cinq ou dix minutes où l'on se sent bien nous redonnent de l'énergie pour repartir de plus belle", affirme-t-elle. 

Vers une deuxième vague 

Si Élise Muller garde le moral, elle est peu optimiste concernant l'évolution de la pandémie. "On s'attend à une deuxième vague. On sait que c'est loin d'être fini", regrette-elle. "Quand on sort du travail le soir, à 19 heures, on se rend bien compte que de plus en plus de monde commencent à se déconfiner. On sait que cela peut produire une nouvelle vague."

Pour éviter ce scénario, elle appelle la population à faire des sacrifices. "Si on veut sortir vite de l'épidémie, il faut vraiment respecter le confinement jusqu'au bout. Restez chez vous, c'est mieux que chez nous", martèle Élise Muller. "Il vaut mieux être dans son lit chez soi tranquillement que de se retrouver intubé et sédaté sur le ventre dans nos lits de réanimation. Je vous l'assure, ce n'est ni confortable, ni agréable."

En attendant le pire, Élise Muller fait preuve d'un mental d'acier. "On est au front. Il faut coûte que coûte que le navire garde le cap. Pour l'instant, on résiste mais c'est au prix de beaucoup d’efforts humains", explique-t-elle.