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Romain David , modifié à
Au micro d'Olivier Delacroix, sur Europe 1, Manon raconte comment un recruteur s'est explicitement servi du surpoids de la jeune femme comme d'un frein à son embauche dans une boulangerie.
VOS EXPÉRIENCES DE VIE

Manon, 25 ans, vit en Gironde. En 2017, cette apprentie a décroché un entretien dans une boulangerie des environs de Bordeaux, en vue de passer un CAP. Mais une fois sur place, son recruteur a passé l'essentiel de l'entretien à la critiquer sur son surpoids, allant jusqu'à expliquer que son physique pourrait porter atteinte à l'image de la boutique. Au micro d'Olivier Delacroix, sur Europe 1, Manon revient sur cet épisode traumatisant.

"Mon entretien téléphonique préalable s''était vraiment très bien passé. J'avais envoyé un CV et une lettre de motivation par mail. Sur mon CV, il n'y a pas de photo, le premier contact s'est juste fait à la voix et s'est très bien passé. [C'était] un monsieur très charmant et très gentil.

[Le jour de l'entretien], je suis arrivée, l'employeur m'a ouvert la porte de son bureau et quand il m'a vue, m'a regardée de haut en bas, a fait un pas en arrière alors que je lui tendais la main pour lui serrer la sienne, et m'a dit : "Ah, mais vous êtes grosse !"

Là, je me suis dit : 'Ouh là, Mazette ! Qu'est-ce que c'est que ça, qu'est-ce que c'est que cet homme ?' À cette époque, j'étais très complexée, je faisais un régime, et la seule chose que j'ai réussi à lui dire c'est : 'Oui, mais je fais un régime"… comme si c''était de ma faute. Je me suis presque sentie obligée de m'excuser […].

 

>> De 15h à 16h, partagez vos expériences de vie avec Olivier Delacroix sur Europe 1. Retrouvez le replay de l'émission ici

Après ce triste préambule, l'entretien tourne au calvaire : l'employeur focalise la discussion uniquement sur le physique de la jeune postulante

Tout l'entretien s'est fait, non par rapport au CAP de vendeur en boulangerie, mais sur mon poids. 'Vis-à-vis des clients, l'image que vous renvoyez en étant grosse… c'est pas très bon pour l'entreprise', 'vous allez rester bloquée à certains endroits dans la boulangerie, vous êtes tellement grosse, vous n'allez pas passer'. Il m'a aussi dit, ce qui m'a choqué : 'J'ai une employée qui était grosse comme vous avant. Je l'ai obligée à mettre un anneau gastrique, elle ne voulait pas mais maintenant ça va mieux, elle me remercie.'

J'étais dégoûtée, mais je me suis dit : 'Va jusqu'au bout de l'entretien, ne soit pas malpolie. Le problème ne vient pas de toi, mais de lui'. Si jamais il avait des contacts pour trouver du travail, je ne voulais pas avoir une mauvaise image qui se serait retournée contre moi. […] Je suis allée jusqu'au bout de l'entretien alors que je savais que je n'allais pas travailler pour lui. Il m'a dit : je vous rappellerai, et il n'a jamais rappelé". Tant mieux, parce que je n'aurais pas répondu.

En racontant à ses proches ce qui lui est arrivé, Manon s'est vue conseiller de porter plainte… ce qu'elle a finalement renoncé à faire.

En sortant, j'étais en colère. Je me suis dit : 'Mais qu'est-ce que c'est que ces gens ?' […] Tout le monde m'a dit que j'avais le droit [de porter plainte] "Ne te laisse pas faire !' […] J'aurais peut-être dû le faire, pas en pensant à moi mais en pensant aux autres à qui cet homme pouvait aussi faire subir ça. Je me suis dit qu'il était fatiguant de se lancer là-dedans. Avec le recul, si ça devait se reproduire, je ne me laisserais pas faire.

J'ai toujours été discriminée à cause de mon poids, je suis ronde depuis que je suis toute petite. Dès le collège, c'était terrible. J'ai compris que je ne serai jamais normale. En fait, ce sont les autres qui ont un problème, pas moi. Je suis normale, moi."

Les discriminations au travail, plus marquées dans les petites structures

Un Français sur quatre dit avoir été victime de propos stigmatisants au travail lors des cinq dernières années, selon le baromètre de septembre 2018 du Défenseur des droits sur la perception des discriminations dans l’emploi. "Au quotidien, de manière assez banale, des Français qui sont censés être égaux devant la loi et la République subissent des discriminations permanentes, dans l'accès aux stages et à l'emploi", déplore au micro d'Olivier Delacroix Christophe Radé, professeur à la faculté de droit de Bordeaux, spécialiste de droit du travail.

"L'égalité n'est pas simplement de dire à tous les citoyens qu'ils ont les mêmes droits, c'est aussi mettre en œuvre, au quotidien, cette égalité de traitement et permettre à ceux issus de la diversité ou qui présentent des caractéristiques personnelles particulières d'avoir les mêmes chances que les autres", insiste-t-il.

Pour lutter contre les comportements discriminatoires à l'embauche, le gouvernement a lancé en 2018 des tests anti-discrimination au sein des 120 plus grandes entreprises françaises. Une initiative que salue Christophe Radé, mais qui, selon lui, reste encore trop limitée dans la mesure où ces phénomènes concernent principalement les petites structures. "Les grandes entreprises ont les moyens de former leurs cadres, leurs managers, et elles ont aussi les moyens, avec les représentants du personnel, de veiller aux politiques d'embauche et de recrutement, et à ce que la diversité soit respectée", explique-t-il. À rebours, "dans les toutes petites structures, dans les entreprises quasiment unipersonnelles, les salariés se retrouvent en face-à-face avec leur employeur, ou futur employeur, et n'ont aucun soutien dans l'entreprise pour faire valoir leurs droits."