Raphaël Enthoven 9:22
  • Copié
Pauline Rouquette , modifié à
Que signifie la "liberté", dont le nom est scandé par les opposants au pass sanitaire ? Le dispositif, contre lequel de nouvelles manifestations sont prévues samedi, est-il vraiment une restriction de nos libertés ? Pour Raphaël Enthoven, il n'en est rien, et le mouvement de protestation qui se revendique libertaire, est davantage un mouvement liberticide, dit-il sur Europe 1.
INTERVIEW

"Être libre, ce n'est pas faire ce qu'on veut". Fracture vaccinale, libertés… Alors que de nouvelles manifestations sont prévues pour protester contre le pass sanitaire, le philosophe et écrivain Raphaël Enthoven était l'invité d'Europe 1, samedi matin, afin d'évoquer sa vision philosophique du climat social actuel en France. Celui-ci estime que le mouvement de protestation est "un mouvement liberticide". En effet, développe-t-il, "un monde où chacun peut contaminer l'autre est un monde où nous sommes moins libres qu'un monde où il faut présenter un pass sanitaire à l'entrée d'une boîte de nuit ou d'un restaurant."

"Détestation arbitraire du vaccin qui se maquille en refus du pass sanitaire"

"Le pass sanitaire, qui ne restreint aucun de mes mouvements, mais qui les conditionne, n'est pas une atteinte à ma liberté", insiste Raphaël Enthoven, estimant que les manifestants qui protestent contre la mise en place de ce dispositif ont "une définition folle de la liberté".

Car, rappelle-t-il, "le propre d'une liberté en société, c'est qu'elle trouve ses limites dans la liberté de l'autre", ce qui, selon le philosophe, est communément admis par l'ensemble des gens qui défilent depuis plusieurs semaines pour s'opposer au pass sanitaire. "Tout le monde serait d'accord pour dire que leur liberté s'arrête là où commence celle de l'autre, sauf dans l'hypothèse du passe sanitaire", dit-il. "En réalité, le mot de 'liberté' est ici le cache sexe d'une détestation arbitraire du vaccin qui se maquille en refus du pass sanitaire."

"Soumission de l'autre à mes propres miasmes"

"Le mouvement d'aujourd'hui est un mouvement liberticide", affirme Raphaël Enthoven. "Ce n'est pas du libertarisme, ça, ça n'a rien à voir : le libertarisme est un respect de la liberté de l'autre, une exaltation de la liberté de l'autre, sûrement pas une soumission de l'autre à mes propres miasmes et à mon virus." 

Et alors que la contestation semble teintée d'un fond de doute et de rejet de la science, Raphaël Enthoven affirme qu'il est tout bonnement impossible de dissiper un tel doute. "À l'ère où l'égalité des droits est confondue avec l'équivalence des compétences, les gens interprètent en termes d'égalité des droits, ce qui relève des compétences", explique-t-il. La conséquence de tout cela ? "Vous donnez aux gens le sentiment que vous êtes anti-démocrate, que vous spoliez les gens d'un savoir qu'ils n'ont pas", poursuit-il. "De ce point de vue, il est donc extrêmement compliqué de défendre la science ou de montrer qu'il n'y a rien de totalitaire dans le fait de dire que deux et deux font quatre, ou dans le fait d'imposer aux gens d'être, d'être vaccinés".

"Il n'y a pas de liberté sans contrôle"

Sommes nous pour autant tous capables de jouer ce rôle d'incarner ces contrôles, à l'entrée d'un cabinet de psychologie, d'un bar ou d'un restaurant ? 

"Scanner un QR code, c'est une démarche que l'on fait ordinairement, ce n'est pas quelque chose qui me paraît pas coercitif, ni qui met l'autre en situation d'être à mes yeux un officier de police judiciaire", estime Raphaël Enthoven, qui rappelle que la loi impose, pour accueillir les individus, qu'ils présentent les garanties nécessaires à la sécurité des autres. "S'avisait de contrôler ça, vérifier ça, c'est peut être désagréable, mais, ça ne fait pas de nous des flics, ni des auxiliaires de police". Pour lui, en effet, c'est encore la liberté qui est ici en jeu. Or, "il n'y a pas de liberté sans loi, il n'y a pas de liberté sans régulation, et en période de pandémie, il n'y a pas de liberté sans contrôle."