L'affaire Anne-Marie Le Couviour : une histoire d'héritage

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Guillaume Perrodeau
Dans "Hondelatte Raconte", retour sur une affaire criminelle de 2009 : alors que tout semble indiquer qu'un cambriolage a mal tourné chez un couple de notables du Morbihan, plusieurs éléments conduisent les gendarmes sur une autre piste.

Christophe Hondelatte revient lundi sur une affaire judiciaire qui a secoué Grand-Champ, une petite commune du Morbihan, en avril 2009. Un couple âgé, Anne-Marie Le Couviour et Eugène Le Couviour, sont cambriolés en pleine nuit. Anne-Marie Le Couviour décède, car étouffée par le bâillon qui lui entourait le visage.

 

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Un cambriolage à l'issue tragique. Dans la nuit du 9 au 10 avril 2009, Anne-Marie Le Couviour, 75 ans, est réveillée par un grand bruit. Elle se lève, en compagnie de son mari, Eugène Le Couviour, âgé lui de 90 ans, pour voir ce qui se passe. Les deux époux tombent alors nez à nez avec deux hommes cagoulés. Ils bâillonnent immédiatement le vieux couple et réclament la cachette du coffre. Après dix minutes, sans trouver de coffre puisqu'il n'y en a pas, les deux hommes repartent bredouille. Eugène Le Couviour arrive à se dégager de ses liens, se dirige vers sa femme pour la libérer, mais cette dernière est inanimée. Et pour cause. Les deux cambrioleurs ont entièrement recouvert son visage de scotch. Impossible pour elle de respirer dans ces conditions : Anne-Marie Le Couviour est morte étouffée.

Ce cambriolage n'a pas lieu chez n'importe qui. Eugène Le Couviour est une personnalité connue dans ce coin du Morbihan. Ancien maire de Pluvigner, ancien conseiller général et régional, il était aussi un homme d'affaires averti, patron d'une usine de lits médicalisés, revendue pour une petite fortune il y a quelques années.

21 bouts de scotchs. Quand les gendarmes arrivent, ils remarquent immédiatement que quelque chose ne va pas. Les cambrioleurs masqués ont bien subtilisé quelques bijoux en évidence, mais c'est tout. Tableaux, bijoux rangés et autre argent liquide sont toujours là. Plus étrange encore, le traitement des époux Le Couviour. Anne-Marie a eu un traitement particulier : 21 bouts de scotchs lui entouraient le visage, les liens qui lui retenaient les mains ont creusé sa peau, alors qu'Eugène Le Couviour a seulement quelques marques autour des poignets. Est-ce que le véritable objectif de ce cambriolage n'était pas plutôt Anne-Marie Le Couviour ? S'il s’agissait, en réalité, d'un assassinat ?

Au lendemain du crime, les gendarmes constatent aussi que la famille est divisée. Anne-Marie Le Couviour et Eugène Le Couviour se sont remariés en seconde noce et les enfants de l'un et de l'autre ne se supportent pas. Après la vente de son usine, Eugène Le Couviour a procédé à un partage : 18 millions pour chacun de ses trois enfants. Les enfants d'Anne-Marie, eux, n'ont rien obtenu. Et dans le salon où leur mère a trouvé la mort, ils n'en démordent pas : ce sont les enfants d'Eugène qui ont fait le coup, ils en sont persuadés.

"S'occuper de madame mais pas de monsieur". L'affaire connaît un rebondissement important, deux jours seulement après la mort d'Anne-Marie Le Couviour. Un gendarme reçoit les confidences d'un homme : un ami à lui, Wenceslas Le Cerf, lui a confié qu'un contrat pour "rayer une femme" lui avait été proposé. Il a accepté et a fait le coup avec un certain "Guénolé". Ce témoin clé raconte des détails que seuls les enquêteurs peuvent connaître, il sait tout du meurtre. Alors Wenceslas Le Cerf est arrêté immédiatement. Il avoue tout. On lui a proposé 20.000 euros pour "s'occuper de madame mais pas de monsieur", et faire passer ça pour un cambriolage. Il a enrôle Guénolé Madé pour faire le coup. La commanditaire serait une femme, qui serait passée par un jardinier du nom de Loïc.

Après quelques recherches, les gendarmes tombent sur le fameux Loïc, qui n'est autre que le jardinier de... Jean-Jacques et Josiane Le Couviour : le fils et la belle-fille d’Eugène. Le jardinier est arrêté, tout comme le couple, et c'est lui qui craque le premier. Sa patronne lui a bien demandé d'éliminer Anne-Marie Le Couviour. En garde-à-vue, cette dernière avoue en partie. Elle reconnaît avoir commandité le cambriolage, mais pas l'assassinat : elle voulait seulement récupérer le testament de son beau-père. Quant à Jean-Jacques Le Couviour, le fils d'Eugène, il semble tomber des nues. En réalité, il n'était au courant de rien et découvre, en même temps que les gendarmes, que sa femme est sans doute la commanditaire de l'assassinat d'Anne-Marie Le Couviour. C'est pour des raisons d’héritage, de peur qu'Anne-Marie Le Couviour ne capte l'héritage au profit des enfants d'Eugène en cas de décès de ce dernier, que la belle-fille serait passée à l'acte.

Jusqu’au procès en assisses, Josiane Le Couviour va maintenir sa version : elle a commandité un cambriolage, pas un assassinat, ce n'est pas ce qu'elle voulait. Une ligne derrière laquelle vont finir par se ranger les trois autres accusés (Loïc Dugué, Wenceslas Le Cerf et Guénolé Madé) malgré leurs aveux précédents. Même lors du procès en appel, malgré des excuses répétées, Josiane Le Couviour ne changera pas de version. Il s'agit seulement d'un cambriolage qui a mal tourné. Si, comme dans le premier procès et lors de l'appel, l'assassinat n'est pas retenu, les peines restent lourdes : 20 ans pour Wenceslas Lecerf, 15 ans pour Guénolé Madé, 9 ans pour Loïc Dugué et 16 ans pour Josiane Le Couviour. Comme si les jurés avaient voulu dire : "nous n'avons pas la preuve irréfutable de l'assassinat, mais nous en avons l'intime conviction."