La prise en charge des détenus radicalisés laisse à désirer selon un rapport de CGLPL. Image d'illustration 1:43
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Salomé Legrand , modifié à
Dans un rapport incisif, la Contrôleuse générale des lieux de privation de libertés (CGLPL), Adeline Hazan estime que les prisons manquent de vision sur ces détenus. Elle juge également que leur suivi est largement inefficace. Elle pointe aussi la difficulté à mettre en place les ateliers prévus.

Ils sont environ 1.500 détenus pour des faits de terrorisme ou considérés comme radicalisés, mais leur prise en charge n'est pas satisfaisante. Auteure d’un rapport publié mercredi, la Contrôleuse générale des lieux de privation de libertés (CGLPL), Adeline Hazan, déplore au micro d’Europe 1 le "manque de vision" de l’administration pénitentiaire. Qu’ils soient à l’isolement, dans des quartiers dédiés ou en détention classique, la prise en charge des détenus radicalisés laisse à désirer. Un problème alors que 71 de ces détenus sont sortis l’an dernier, 43 doivent sortir cette année.

"On créé un catégorie spécifique de détenus, pour des personnes qui sont en fait très différentes"

Ils sont les "TIS", condamnés ou en détention provisoire pour des faits de "Terrorisme ISlamiste", ou les "DCSR", détenus de droit commun surveillés pour leur radicalisation. La doctrine les concernant a changé en 2018, avec le développement de Quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), déterminant ensuite leur orientation en fonction de leur degré de dangerosité, leur potentiel violent ou leur degré de prosélytisme. Mais les critères sont opaques et discriminants selon Adeline Hazan. "On créé un catégorie spécifique de détenus, pour des personnes qui sont en fait très différentes", déplore-t-elle, "on applique un régime extrêmement sécuritaire qui n’est pas respectueux des droits fondamentaux des personnes".

Dans son rapport elle souligne que le classement d’un détenu dans la catégorie DCSR ne lui est jamais signifié. "Les psychologues qui interviennent auprès d’eux ne peuvent pas leur dire, et prennent des informations qui sont ensuite transmises au renseignement pénitentiaire ce qui pose des problèmes éthiques. Ils découvrent parfois au cours d’ateliers présentés comme de lutte contre la récidive, qu’ils sont considérés comme radicalisés", dénonce Adeline Hazan au micro d’Europe 1. Elle réclame plus de transparence et un droit de recours.

Des ateliers qui peinent à être pérennes

Quant aux divers ateliers, les différentes visites effectuées par ses équipes ont relevé plusieurs difficultés. "Plusieurs établissements se sont dotés de programmes de prévention de la radicalisation violente (PPRV) sans parvenir à les pérenniser" pointe le rapport qui conclut : "Si les activités sont variées (sculpture, création de meubles, photographie, sophrologie, conférences-débats…), ces programmes peinent à atteindre leur public". À Lyon, les sessions se sont tenues mais en présence d’une majorité de détenus non concernés par la radicalisation, "on comble" faute de volontaires, a admis un agent auprès du CGLPL. Au centre pénitentiaire de Lille-Annoeullin, c’est un manque de formation et de disponibilité des animateurs qui a mis fin au programme.

D’autres programmes enfin ne disent pas leur nom : il est "présenté comme un groupe de parole 'avec des philosophes, des chercheurs du CNRS', sans plus de précision que la prévention de la récidive ou des passages à l’acte violent", note le rapport au sujet d’une activité proposée à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis.

Ces programmes "montent en puissance", répond la direction de l’administration pénitentiaire, qui en a déployé dans 59 établissements et insiste sur des activités choisies "par une équipe pluridisciplinaire (psychologue et éducateur du binôme de soutien, conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, personnel de surveillance…) en fonction de leur pertinence par rapport aux profils suivis, la prise en charge étant d’abord individualisée".

"La prise en charge de la 'radicalisation' proposée apparaît sans effet"

Le rapport du CGLPL, qui reconnaît que des impératifs de sécurité sont justifiés par le profil de certains et par le fait que l’administration pénitentiaire doit faire face à de nombreux défis, dont celui de la surpopulation, souligne néanmoins que "la tentation est forte de remplacer une logique de prise en charge par une pratique de neutralisation". Ainsi, dans l’ensemble des établissements visités, "il y a des fouilles à nues systématiques, le maintien des liens familiaux est assez dégradé, l’accès au travail en détention est limité voire inexistant et il n’y a aucune possibilité d’aménagement de peine, depuis une loi de 2016, ce qui pose un problème car ces détenus qui sortiront un jour sortiront sans aucun accompagnement à la réinsertion", s’alarme Adeline Hazan.

"Dépourvue de projet d'aménagement de peine et de perspectives sociales ou professionnelles, la prise en charge de la 'radicalisation' proposée apparaît sans effet", assène son rapport. "Au même titre que l’ensemble de la population pénale, les détenus radicalisés font l’objet d’un suivi par les services d’insertion", détaille la DAP qui précise que toute sortie est anticipée 6 mois en amont. Parmi les options de sorties, quatre centres de prise en charge individualisée des personnes radicalisées (PAIRS) à Paris, Marseille, Lyon et Lille, ont vocation à assurer un suivi intensif en milieu ouvert avec accompagnement sur l’hébergement, l’insertion, et le désengagement des idées radicales, ajoute-t-elle.