Maison dans la commune d'Ahun (illustration) 1:42
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Marion Gauthier
Emmanuel Macron se rend dans la Creuse pour la première fois ce lundi. Un déplacement qui devrait être axé sur la ruralité et la jeunesse : le département voit en effet sa population diminuer depuis des années. Plusieurs dispositifs ont donc été mis en place et des millions d’euros ont été investis pour rendre ce territoire plus attractif. 
REPORTAGE

Emmanuel Macron dans la Creuse, c'est une première. Le président de la République doit commencer sa visite ce lundi par le lycée agricole d’Ahun, à quelques kilomètres de Guéret, en Creuse. Il devrait échanger sur la jeunesse et l'emploi en milieu rural avec élèves et responsables de l’établissement, avant de se diriger vers une maison de santé pluridisciplinaire du département pour parler désertification médicale.

Personne, nulle part

Guéret somnole, même depuis l’annonce de la venue du président. "C’est tout le temps comme ça. Il n’y a personne, nulle part", souffle Théo, capuche sur la tête. Le jeune homme de 17 ans, cheveux peroxydés, mains dans les poches, traîne devant un bar-tabac prisé des lycéens, près de la place principale de la ville. "C’est vrai que chez nous, il n’y a pas grand-chose pour les jeunes, acquiesce un ami dans un sourire. Pas de commerces, pas de boîtes de nuits, il n’y a que des bars… Ici, c’est notre deuxième maison !"

Derrière la vitre, la plupart des habitués sont en première, au lycée du centre. Certains, nés dans la Creuse, seraient bien restés dans la campagne de leur enfance, "mais dans tous les cas, il n’y a rien à faire au niveau des grandes études", explique Colin. Seulement une école d’infirmière et des CAP, pas de faculté de médecine, pour l’adolescent qui se voit kinésithérapeute.

La campagne, moins considérée que la ville

"Je n’ai qu’une envie, c’est de partir", lâche Théo, rentré dans le bar. Lui ne vise pas une formation en particulier mais rêve déjà de Toulouse, Bordeaux ou la région parisienne, après sa terminale. "Plus ça se rapproche plus que je suis content, poursuit-il, mais ça m’énerve d’être ici encore maintenant. J’ai envie de changement, de ville : on peut voir plus de personnes, faire plus de choses".

La salle résonne des rire des lycéens, sur fond de la chanson "We are the champions" de Queen. "Je pense qu’on n’est pas autant considéré qu’en ville ici", estime pourtant Théo. Pas assez de transports notamment : peu de passages pour des distances importantes. "J’habite à 40 minutes de Guéret, la seule ville alentour, réagit Oriane. Résultat, je suis coincée dans ma chambre parce que je suis trop loin pour faire quoi que ce soit". Sans compter la dépendance à la voiture des parents pour ceux, comme elle, qui n’ont pas encore leur permis. La lycéenne a commencé à formuler des vœux sur la plateforme Parcoursup, et a donc évité la Creuse.

Les Creusois "ne peuvent pas rester"

A une vingtaine de kilomètres de là, sur le pas de sa porte, Sylvie désigne les volets fermés du bourg de Moutier d’Ahun : "Là, il y avait un commerce… ici aussi… il n’y a plus personne". "Pas de commerces ? Pas de jeunes", devise-t-elle. "Pas de jeunes ? Plus que des anciens".

Proche de la retraite, la restauratrice cherche repreneur depuis 2 ans, sans succès. "Le Marais" a donné vie au bourg pendant près de 10 ans mais un accident et le premier confinement, au début de l’épidémie de Covid-19, ont poussé la quinquagénaire à fermer. "Si un couple de jeunes voulait reprendre ce serait vraiment merveilleux !", s’exclame Sylvie. "Mais comment voulez-vous que les jeunes restent ? Il faut faire 40 bornes à chaque fois pour sortir". Elle refuse de croire que les Creusois ne veulent pas rester, ils partent, selon elle, parce qu’ils ne peuvent pas rester. "Il n’y a pas de travail, il y a pas d’usine. Il n’y a rien en Creuse".

200 inscrits de moins au lycée en 5 ans

Il y a le lycée agricole, un peu plus haut. Ce sont d’ailleurs ses élèves qui se sont attablés longtemps chez Sylvie. La majorité d’entre eux s’apprête à reprendre l’exploitation familiale mais Sophie Azzolin, la CPE, s’inquiète de voir leur nombre fondre : l’établissement a perdu presque 200 inscrits en 5 ans. "Quand on étudiait les effectifs des classes des collèges il y a 5 ans, au lieu de 30 élèves, certaines étaient à 15, donc on se doutait que ça allait se répercuter sur nous", se rappelle la conseillère d’éducation.

Pleine d’espoir pour "notre beau département", elle insiste. "Qu’on ne se dise pas que la Creuse, c’est le trou du cul du monde, qu’il n’y a rien à faire là-bas. Si, il y a des choses à faire, il y a des jeunes et il faut les soutenir". Comme d’autres ici, elle veut croire à un renouveau creusois et note un effet des confinements : des pancartes "A vendre" disparaissent et quelques volets rouvrent dans les villages.