Violoncelle, cuillère... Comment les objets racontent mieux la guerre que les mots

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Pauline Rouquette , modifié à
Dans son livre Fragments de violence, l'historien franco-américain Bruno Cabanes retrace l'histoire des guerres au XXe siècle à travers des objets nés de l’expérience du danger, de la souffrance et du deuil. Invité d'Europe 1, dimanche, celui-ci est revenu sur l'éloquence de certains de ces "objets de guerre".
INTERVIEW

Un violoncelle construit dans les tranchées, une cuillère artisanale retrouvée à Auschwitz ou encore la veste d'un lycéen victime du bombardement de Hiroshima... Dans son livre Fragments de violences (Seuil), l'historien Bruno Cabanes retrace l'histoire de la guerre à travers le témoignage d'objets nés de la guerre de 1914 à nos jours. Invité d'Europe 1, dimanche, celui-ci a expliqué ce que de tels objets disent de l'expérience de la guerre, et comment ceux-ci la racontent mieux que des mots.

Une cuillère pour "lutter contre la déshumanisation dans les camps"

Historien titulaire de la Chaire de l'histoire de guerre à l'Université d'État de l'Ohio, Bruno Cabanes est, en quelque sorte, le conservateur en chef de ce musée imaginaire qui rassemble tous ces objets nés de la guerre. Des objets qui témoignent de "la violence exceptionnelle qui a traversé tout le XXe siècle", dit-il au micro d'Europe 1. "Une violence dont nous sommes largement les héritiers, et qui s'est inscrite dans l'intimité de chacune de nos familles et dans l'intimité des choses".

Ainsi, nous découvrons avec lui cette cuillère artisanale retrouvée dans le camp d'Auschwitz, qui appartenait à un déporté puis a été donnée par sa famille au musée mémorial de la Shoah, à Washington. "Dans les camps, les cuillères étaient rares", explique Bruno Cabanes, qui raconte que les gardiens des camps obligeaient les déportés à laper leur soupe, comme les chats. "Se fabriquer une cuillère, c'est beaucoup plus que fabriquer une cuillère. C'est un moyen de garder sa dignité et lutter au quotidien contre la déshumanisation dans les camps", poursuit l'historien.

Mais son objet préféré date de la Grande Guerre. Il s'agit d'une balle de Shrapnel (obus à balles) montée en pendentif. "C'est une bille de plomb qui était contenue dans un obus de la guerre et a été extraite du corps d'un soldat blessé", raconte Bruno Cabanes, qui précise que l'objet fait aujourd'hui partie de la collection de l'Historial de la Grande Guerre, à Péronne, dans la Somme.

"Le pendentif a ensuite été porté par la fille de ce soldat pendant toute sa vie comme un porte-bonheur, un talisman", développe-t-il, ajoutant y voir là l'amour d'une fille pour son père, mais aussi un objet de transmission d'une génération à l'autre.

Un violoncelle comme "un acte de résistance contre le fracas des obus"

Ces objets parlent de la guerre, mais ne sont pas pour autant dénués de beauté, voire de douceur. Le violon construit dans les tranchées en est une illustration. "C'est un très bel objet qui a appartenu à François Gervais, violoncelliste des concerts Lamoureux", affirme Bruno Cabanes.

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L'instrument de musique a été fabriqué de toutes pièces par l'un de ses camarades : la caisse de résonance est par exemple issue d'une boîte d'emballage en sapin qui a été recyclée. "Mais au-delà de l'objet, ce qui est passionnant, c'est le carnet rédigé par Gervais dans lequel il décrit, au jour le jour, ses efforts pour restituer un son de qualité, un son de l'avant-guerre, qu'il pouvait faire avec un véritable instrument", raconte l'historien franco-américain, évoquant un "acte de résistance contre le fracas des obus, et contre les guerres elles-mêmes".

Un tricot inachevé en Australie, des dessins d'enfants... Les objets présentés par Bruno Cabanes dans son ouvrage sont encore nombreux. Des objets qui, pour lui, sont aussi et surtout "des mémoriaux élevés par les morts pour les survivants".