Boîte aux lettres aux croix gammées. AFP 3:41
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Thibaud Le Meneec
L'explosion des actes antisémites en 2018 correspond à une perte sans cesse plus grande de repères et une atomisation de la société, juge l'historien et directeur de recherche au CNRS Denis Peschanski, invité de Wendy Bouchard sur Europe 1 mercredi.
LE TOUR DE LA QUESTION

Le chiffre est glaçant, comme le sont les actes récents proférés sur une boîte aux lettres à l'effigie de Simone Veil, sur les arbres plantés à la mort d'Ilan Halimi ou encore sur les locaux du PCF en Isère : les actes antisémites ont bondi de 74% en France en 2018, selon le ministère de l'Intérieur. "On a des segments de la société qui sont travaillés par un antisémitisme qui correspond à un repli identitaire", a analysé mercredi sur Europe 1 l'historien Denis Peschanski, invité du Tour de la question de Wendy Bouchard.

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"On assiste à une atomisation de la société et une perte des repères. Tout ce qui est rejet de l'autre devient un élément moteur", observe le directeur de recherche au CNRS. "On a perdu la référence partagée aux valeurs de la Révolution. Ce qui serait le plus dangereux, ce serait une réaction communautariste."

"Un anti-judéisme chrétien" dans "certains milieux". Et le spécialiste de revenir sur les différentes formes d'antisémitisme qui ont secoué la France, souvent liées à des "pics" de tensions au sein de la société. "Traditionnellement, on avait l'anti-judéisme chrétien, avec l'idée que les juifs sont les assassins du Christ. Ç'a été très fort au 18ème, au 19ème et au début du 20ème siècle. Ça reste comme une musique de fond dans certains milieux", explique-t-il, alors que l'antisémitisme irrigue certains réseaux catholiques intégristes.

Après la guerre, on a cherché les "responsables de la défaite". "Ensuite, il y a eu un antisémitisme radical fondé sur les stéréotypes, face à ceux qui étaient considérés comme une population responsable de faire couler de l'intérieur la société, de sa décadence", décrit l'historien.

" Ça n'est pas par hasard si ce n'est pas que dans les manifestations d'extrême droite qu'on voit ces gestes antisémites "

"On a eu ça avec Édouard Drumont et pendant la Seconde Guerre mondiale avec le discours de Philippe Pétain sur les responsables de la défaite. Évidemment, ce ne sont pas les militaires, donc on va en chercher d'autres. Ceux qui sont responsables de la défaite sont donc ceux qui ont nourri le complot depuis la Révolution française, dont le juif, l'étranger, le franc-maçon, le communiste. Il y a quelque chose qui articule les figures de l'autre."

Un nouvel antisémitisme depuis les années 1960. "Depuis les années 1960, avec le développement du mouvement palestinien, il y a un antisémitisme qui a émergé à l'extrême gauche, qui a gagné au-delà [de cet espace politique] et qui a des conséquences car ça joue sur les stéréotypes. Ça n'est pas par hasard si ce n'est pas que dans les manifestations d'extrême droite qu'on voit ces gestes, ces mots et ces images antisémites" comme ceux aperçus en marge des mobilisations récentes de "gilets jaunes". "Là ça s'est radicalisé avec le djihadisme et ce qu'il s'est passé dans les banlieues", appuie-t-il.