ÉDITO - L'impunité de Matzneff ou "la dictature de la bien-pensance du royaume des lettres"

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Nicolas Beytout , modifié à
Pendant des décennies, l'écrivain Gabriel Matzneff a pu vanter la pédocriminalité sans être inquiété. Une manifestation, pour notre éditorialiste Nicolas Beytout, "de la dictature de la bien-pensance" qui régnait alors dans le monde littéraire et de gauche.
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Depuis jeudi, le livre de Vanessa Springora, une éditrice avec laquelle l'écrivain Gabriel Matzneff a entretenu une liaison pendant deux ans alors qu'il avait une cinquantaine d'années et elle entre 13 et 15 ans, est disponible en librairie. Mais comment expliquer que cet homme, qui n'a jamais caché ses comportements pédocriminels, vantant ses relations avec des mineurs souvent très jeunes, n'ait pas été unanimement condamné plus tôt ? Pour notre éditorialiste Nicolas Beytout, c'est la preuve que le milieu littéraire, une partie de la presse et la gauche cultivent la bien-pensance et l'entre-soi. 

"Cette impunité absolue dont Gabriel Matzneff a si longtemps bénéficié est l'une des manifestations les plus horribles de la dictature de la bien-pensance. Pendant des décennies, les agissements de ce personnage ont été encensés et défendus par une partie de l’intelligentsia, dont il était un membre en vue. Matzneff appartenait à ce royaume des lettres, cet univers particulier de Saint-Germain-des-Prés, à la fois curieux de tout et totalement centré sur l'entre-soi. Il était donc protégé.

L'univers confiné de l'édition et d'une certaine presse

C'est comme cela que Bernard Pivot, l'un des princes de ce royaume, a pu se permettre de faire de la gaudriole à la télévision en interrogeant Matzneff, invité à six reprises dans "Apostrophes", son émission culte. Il est intéressant de voir, d'ailleurs, comment l'ancien Académicien a eu du mal, ces jours-ci, à reconnaître que son comportement avait été inapproprié.

Mais ce qui était vrai dans cet univers très confiné de l’édition, l’était aussi dans la presse. Dans Libération, dans Le Monde, où Matzneff a tenu une chronique hebdomadaire pendant environ cinq ans. Cela représente des dizaines d'articles à raconter l'attente, place du Trocadéro à Paris, et la drague des petites filles qui sortaient des collèges alentours.

Il faut bien comprendre qu'à l’époque, beaucoup plus qu'aujourd’hui où la presse écrite est affaiblie, Le Monde était la référence journalistique. C'était, au sens plein du terme, une institution qui exerçait un véritable magistère moral. Être des leurs, c’était être puissant.

La bien-pensance était de gauche

Pour Libération, c’était différent. Autant Le Monde était la quintessence de la bien-pensance, autant Libération cultivait la différence. C'est à ce titre que le journal de Jean-Paul Sartre a été l'un des porte-voix d'un courant qui, dans toute la vague de la libération des mœurs, faisait la promotion de la sexualité avec les enfants. Dans ces milieux-là, on en parlait très ouvertement. Tout le monde se souvient des propos de Daniel Cohn-Bendit sur le "jeu érotico-maniaque" avec une petite fille de 5 ans qui le déshabille. Le patron de Libération, Laurent Joffrin, s'en est expliqué depuis, et l'a plutôt bien fait. Mais à ma connaissance, Le Monde n'a pas eu la même démarche.

Il y avait une dimension politique dans ce soutien. La bien-pensance était de gauche. Mais là où Matzneff est diabolique, c'est qu'en réalité, il a été, et il est encore, très proche des milieux d'extrême-droite. Cet homme s'est construit une série de complicités avec un brio et une perversité inégalés.

Cela ne devrait pas durer. Cet homme cultivé, qui ne regrette rien, connaît certainement la fable de La Fontaine Les Animaux malades de la peste. 'Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir', est-il écrit dans la morale. Il était puissant et blanchi par les siens. Le voilà banni. Et déjà puni."