Double meurtre de Montigny-lès-Metz : Francis Heaulme, le lavoir, la 4L et les "pêcheurs"

Francis Heaulme est jugé pour le meurtre de deux enfants à Montigny-lès-Metz.
Francis Heaulme est jugé pour le meurtre de deux enfants à Montigny-lès-Metz. © Benoit PEYRUCQ / AFP
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, envoyée spéciale à Metz , modifié à
Joachim Cadette et Émile David ont livré un témoignage capital au procès du "routard du crime", mercredi, à Metz. Le 28 septembre 1986, ils l'avaient recueilli le visage en sang.

L'un est menuisier, l'autre travail "dans le chauffage sanitaire". Pourtant, on les connaît comme "les pêcheurs". Il y a 31 ans, Joachim Cadette et Émile David ont convoyé Francis Heaulme en revenant d'une partie de pêche au sandre, quelques heures après le meurtre de deux garçons de 8 ans sur un talus de Montigny-lès-Metz. Mercredi, les deux beaux-frères taiseux, qui finissent machinalement leurs phrases par "et puis c'est tout", se sont retrouvés au procès du "routard du crime" devant les assises de la Moselle.

"C'est pas lui, c'est l'autre". Les fameux pêcheurs ne sont pas encore là que déjà, la cour les imagine. À la barre, Michel Kratz, élégant chef d'entreprise, revient sur le point de départ du témoignage tardif des deux hommes, qui n'ont parlé que quinze ans après les faits. La scène se passe en 2001. "Je rénove une maison, avec un menuisier. J'entends à la radio un commentaire sur l'affaire Dils. Je dis, à haute voix, que c'est quand même incroyable cette affaire", se souvient-il. Le menuisier s'appelle Joachim Cadette, et sa réponse sidère le patron : "De toute façon, c'est pas lui, c'est l'autre. J'en suis certain."

" Il est plein de sang, on va tacher la voiture "

Auprès de Michel Kratz, l'ouvrier narre alors cet après-midi de pêche de septembre 1986. Le témoin retranscrit : "Ils rentraient bredouilles, ils n'avaient rien pris. Sur le chemin du retour, ils ont aperçu un homme au bord de la route. L'un a dit à l'autre : 'Tiens, c'est Francis !' Ils se connaissaient, car ils habitaient le même village de Vaux. L'un des deux a dit : 'On va le ramener chez lui'. L'autre a répondu : 'C'est pas possible, il est plein de sang, on va tacher la voiture'. Et finalement, ils l'ont conduit chez sa grand-mère."

Le chef d'entreprise demande alors si les deux hommes ont prévenu la police, apprend que non et tente de les convaincre de "faire ce qu'il faut", en leur mettant "un peu la pression". Quelques jours plus tard, ils acceptent de rencontrer l'avocat de Patrick Dils, pas encore acquitté à l'époque du double meurtre de Montigny.

"Il avait besoin d'aide". La version de Kratz est rapidement expédiée par la cour. L'un des principaux intéressés entre alors en scène, et corrige le tir. Francis Heaulme n'était pas "plein de sang" mais en avait "un peu sur le visage et sur ses vêtements", explique Joachim Cadette, dit "Jacky". Lui ne le connaissait pas : c'est son beau-frère, qui l'avait côtoyé à Vaux, qui l'a reconnu. Et jamais ils n'ont hésité à le prendre dans leur 4L blanche : "Il avait besoin d'aide". Pour le reste, l'histoire est à peu près fidèle, assure le petit homme de soixante ans, aux cheveux mi-longs et gris, qui mâchouille sans cesse, sans qu'on sache s'il s'agit d'un tic ou d'un chewing-gum.

" On l'a déposé en haut, près du premier lavoir de Vaux "

Pour obtenir des détails, le président doit lui tirer les vers du nez. Dans quel état se trouvait Francis Heaulme ? "Un peu abasourdi, un peu nerveux". Comment a-t-il justifié le sang sur son visage ? "Il nous a tout simplement dit qu'il était tombé sur des cailloux." Qu'ont-ils échangé d'autre ? "Il n'y a pas eu de discussion dans la voiture, on l'a déposé en haut, près du premier lavoir de Vaux." Comment était-il habillé ? "Je ne veux pas raconter n'importe quoi, c'était quand même il y a beaucoup d'années."

"Les années passent". Joachim Cadette est absolument certain que cette mésaventure remonte au 28 octobre 1986. "La nuit commençait à peine à tomber, il faisait encore jour. Le lendemain à la télé, on a entendu qu'il y avait toutes ces histoires." Martine, sa femme, s'interroge alors : "Est-ce que ça n'aurait pas un rapport avec le gars que vous avez ramassé ?" C'est Émile, le deuxième pêcheur, qui répond : "On ne va pas le mettre dans un crime comme ça. On va attendre de voir."

" Il y a quelqu'un d'autre qui a été accusé dans cette affaire "

Ensuite, toujours "à la télé", "il y a quelqu'un d'autre qui a été accusé de cette affaire", en l'occurrence Patrick Dils, dissuadant les deux compères de témoigner. En 1992, les médias relayent l'arrestation de Francis Heaulme, dans une autre affaire. Au début des années 2000, ses liens avec le dossier de Montigny commencent à être évoqués dans les journaux télévisés. Pourquoi n'avoir pas parlé à l'un de ces moments-là ? "J'avais ma vie de famille", justifie "Jacky".

"Les années passent, on se demande comment ça va se passer, ce qu'on va dire de nous", renchérit Émile, qui s'agace : "vous croyez que c'est la facilité d'affronter la justice ? On a pris notre temps, on a vu les journaux, on n'est pas à six mois près, à deux ans près !"

"Je ne les ai jamais vus". La défense s'engouffre dans la brèche : quel crédit accorder aux souvenirs d'hommes qui ont mis plus de quinze ans à témoigner ?  "Je n'ai jamais demandé à être à cet endroit, j'ai fait mon devoir de citoyen", se défend "Jacky". "Votre devoir de citoyen, c'est aussi d'aller voir la police quand vous pensez qu'il peut y avoir un lien avec ce crime atroce", tacle Me Bouthier. Les esprits s'échauffent sur un souvenir vieux de 30 ans. La 4L qui a transporté Heaulme a depuis été "vendue à un jeune homme qui voulait en faire quelque chose d'un peu spécial". La gendarmerie ne l'a jamais retrouvée…

" C'est pas un dimanche qu'ils m'ont ramassé "

Dans le box, Francis Heaulme est penché en avant, la tête posée sur sa main ouverte, les coudes sur les genoux. Le président le fait lever pour réagir aux auditions des pêcheurs. L'accusé déplie son grand corps et, comme à son habitude, nie. "Je ne les ai jamais vus. Le dernier qui est parti dit que je l'ai rencontré en 83, c'est faux, j'habitais à Metz avec mes parents." Avant, comme à son habitude, de se contredire : "C'est pas un dimanche qu'ils m'ont ramassé. Ça devait être un samedi."