La proposition de loi visant à fixer un âge de non-consentement sexuel des mineurs a 13 ans est critiquée par certains. 5:59
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Séverine Mermillod
Alors que le Sénat a adopté cette semaine une proposition de loi fixant le consentement sexuel des mineurs à l'âge de 13 ans, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer la mesure. La présidente du syndicat de la magistrature, Katia Dubreuil, a éclairci sur Europe 1 les raisons qui font que fixer un âge de non-consentement est compliqué pour les tribunaux. 
INTERVIEW

Le Sénat a adopté cette semaine à l'unanimité une proposition de loi fixant le consentement sexuel des mineurs à l'âge de 13 ans. En effet dans la loi française, la notion de consentement n'existe pas en tant que telle. La loi reconnaît le droit à un mineur d'avoir des relations sexuelles avec un majeur à partir de 15 ans seulement. Katia Dubreuil, présidente du syndicat de la magistrature, a expliqué sur Europe 1 pourquoi la proposition de loi votée par le Sénat fait débat au sein de la Justice et du gouvernement.

Déjà des dispositions claires dans la loi

"La loi pose déjà de manière très claire le fait que le mineur ne doit pas être vu comme un adulte au regard des relations sexuelles, qu'il doit être protégé spécifiquement", rappelle Katia Dubreuil. D'abord, explique-t-elle, "il existe un délit d'atteintes sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans. Donc, ce n'est même pas 13 ans, c'est 15 ans, et c'est 7 ans d'emprisonnement encourus pour tout acte sexuel, qu'il y ait consentement ou non commis par un majeur de plus de 18 ans sur un mineur de moins de 15 ans."

Ensuite, ajoute-t-elle, "concernant les infractions de viol qui sont punies de façon plus lourde, 20 ans de réclusion criminelle encourue quand c'est un viol sur mineur, la jurisprudence (l'ensemble des décisions de justice rendues par les cours et tribunaux) retient bien évidemment déjà le fait qu'il peut y avoir une contrainte morale en fonction de l'âge de la victime. On considère que, et on le regarde au cas par cas, des jeunes victimes n'ont pas le discernement suffisant pour être en mesure de consentir à un acte sexuel. Et donc qu'il peut y avoir une contrainte morale et un viol, y compris si la victime n'a pas résisté".

Cette question de la contrainte est encore plus retenue, dit Katia Dubreuil, "si c'est dans la famille, s'il y a un acte incestueux parce qu'on va de manière évidente considérer qu'il y a une autorité de l'auteur sur la victime".

Cette jurisprudence a été en quelque sorte inscrite dans la loi en 2010 et 2018, assure la magistrate : "depuis 2010, puis récemment depuis 2018, on a inscrit cette jurisprudence dans la loi en disant que quand il y a une différence d'âge et une autorité de l'auteur sur la victime ou quand il y a une absence de discernement liée à l'âge, c'est une contrainte."

L'automatisation de la réponse pénale en question

Marlène Schiappa et Nicole Belloubet, ministre de la Justice de l'époque, avaient présenté un projet de loi visant à instaurer à 15 ans l'âge minimal de consentement. Ça n'était pas passé à l'époque. "Cela voudrait dire que pour apprécier si un crime a été commis et puni d'une peine très lourde, on automatiserait la réponse pénale, sans aller regarder au cas par cas, si le mineur était effectivement en mesure ou pas de consentir à l'acte en fonction de l'histoire, de la relation, de sa maturité psychologique, et sans avoir à regarder si l'auteur avait conscience effectivement d'exercer une contrainte morale sur la victime".

Or, poursuit Katia Dubreuil, "l'âge auquel on serait sûr que dans tous les cas, il ne peut pas y avoir de consentement, est très difficile à définir. Certains disent 13 ans, d'autres 14, d'autres 15. Donc on n'a pas un âge où il est absolument possible de dire qu'en dessous de cet âge-là, tout mineur subirait un viol s'il y avait une relation sexuelle avec un majeur." 

Une disposition qui pourrait être anticonstitutionnelle

L'une des conséquences d'automatiser ainsi le jugement, selon elle, serait donc que l'"on risquerait d'attraper des situations dans lesquelles, en réalité, il ne s'agit pas d'un viol ou d'un acte répréhensible", poursuit Katia Dubreuil, qui donne l'exemple d'une mineure de 14 ans qui aurait des relations sexuelles dans le cadre d'une relation consentie avec un jeune homme de 18 ans. "Est ce qu'on doit prévoir dans la loi que, automatiquement, ce serait qualifié de viol puni de 20 ans de réclusion criminelle ?"

C'est pourquoi, à l'époque, le Conseil d'Etat avait dit au gouvernement que le Conseil constitutionnel risquerait de considérer cette automatisation comme inconstitutionnelle. Selon Katia Dubreuil, le revirement actuel est dû "à l'émotion causée par la gravité de ce type d'actes, au fait qu'on voit bien qu'il y a beaucoup d'actes de ce type qui sont commis en toute impunité, avec la difficulté pour la justice d'y répondre". Mais elle estime que le cas par cas est indispensable.

Le viol incestueux serait "facile à démontrer"

L'affaire Duhamel a en effet remis sur la table le silence qui entoure notamment les affaires d'inceste et la difficulté pour les victimes de parler. Mais la justice prend déjà bien en compte le caractère aggravant de l'inceste, assure la présidente du syndicat de la magistrature, quand bien même l'inceste avec un mineur n'est pas inscrit en tant qu'acte criminel en tant que tel dans le Code pénal.

"Ce qui est punissable, c'est la contrainte, l'absence de consentement. Quand c'est une relation dans la famille entre un enfant et un adulte, la justice va considérer de manière très évidente qu'il ne peut pas y avoir de consentement d'un enfant, par exemple quand son père ou son beau-père commet des actes à caractère sexuel sur lui. C'est punissable et c'est punissable en tant que viol d'inceste", précise Katia Dubreuil. "L'inceste n'intervient dans la qualification que lorsque le viol en lui-même est prouvé, mais le viol, en matière d'inceste, est en soi très facile à démontrer."