Bac philo 2018 : les corrigés des sujets de la série ES

Le baccalauréat a commencé avec la traditionnelle épreuve de philosophie, lundi matin (photo d'illustration).
Le baccalauréat a commencé avec la traditionnelle épreuve de philosophie, lundi matin (photo d'illustration). © FREDERICK FLORIN / AFP
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Quelles étaient les notions incontournables et les auteurs à citer pour réussir son épreuve de philosophie, lundi matin ? Deux professeurs interrogés par Europe 1 apportent de premiers éléments de correction. 

C'est probablement l'épreuve la plus redoutée du baccalauréat : quelque 753.000 lycéens ont planché sur l'écrit de philosophie, lundi matin. En filière ES, les élèves de terminale avaient le choix entre un commentaire de texte et deux dissertations, portant pour l'une sur la vérité et pour l'autre sur l'art. Quelles étaient les notions à aborder ? Quels pièges fallait-il éviter ? Europe 1 apporte des premiers éléments de correction avec Cyril Morana, professeur de philosophie au lycée Joliot-Curie à Rennes et auteur de La mémoire : 50 œuvres pour réussir sa dissertation (Prépas commerciales), et Sylvain Theulle, professeur de philosophie au lycée Jean Zay à Orléans. 

Pour rappel, ces corrigés n'ont pas valeur de réponse "standard" à la question posée. Un candidat qui n'aurait pas utilisé les références ci-dessous (notamment les auteurs) n'aura pas automatiquement une mauvaise note... Pas de panique, donc !  

Sujet 1 : Toute vérité est-elle définitive ? 

Par Sylvain Theulle

  • Les notions à aborder

Le sujet porte sur les notions relatives à la connaissance (dans le chapitre "la raison et le réel"), comme celle de vérité, bien sûr, mais aussi celle de démonstration. Les notions de croyance et de savoir peuvent aussi être utiles. Enfin, les notions de théorie et d'expérience, même si elles ne sont pas officiellement au programme, sont quand même souvent mentionnées en cours.

Le sujet demande si les vérités sont susceptibles d'être révisées, corrigées, abandonnées, etc. À première vue, cela paraît évident : il y a une histoire des sciences, dans laquelle on voit que des théories sont réfutées, et que d'autres leur succèdent. Il semble même que ce soit le propre de l'activité scientifique que de tout remettre en cause, tout critiquer, montrer que tout ce à quoi on croyait se révèle en fait très douteux et fragile.

Mais d'un autre côté, si une théorie est abandonnée, c'est justement parce qu'elle est fausse. Si cette théorie était vraie, alors rien ne pourrait la renverser. Ainsi, il semble bien que la vérité, définie comme l'adéquation de notre théorie et de la réalité, soit définitive. Si nos théories sont fausses, elles finiront par être dépassées, mais, aussitôt qu'elles deviendront vraies, alors elles seront définitives.

  • Les pièges à éviter

Le principal piège à éviter est de confondre vérité et croyance, ou bien vérité et théorie. Par définition, une vérité ne peut pas être fausse. Par contre, les croyances, elles peuvent être fausses, de même les théories. Si on ne fait pas ces distinctions, on ne peut pas voir le problème du sujet.

Ainsi, il faut être capable de faire la différence entre une approche historique des théories scientifiques ou des croyances, et une approche épistémologique centrée sur la différence entre la vérité et l'erreur. Les théories ont une histoire. Par contre, la vérité en tant que norme de validité du discours scientifique, n'a pas d'histoire. Par exemple, on peut faire l'histoire de la formation progressive des théories atomistes en physique. Mais que la matière soit faite d'atomes, ce fait n'a pas d'histoire. Cela est vrai de toute éternité. 

  • Les auteurs à citer

On peut tout d'abord s'appuyer sur un philosophe des sciences très soucieux de montrer les discontinuités dans l'histoire des sciences : Thomas Kuhn, dans La structure des révolutions scientifiques, montre que les théories forment des paradigmes, c'est-à-dire des ensembles unifiés constitués par des concepts, des problèmes, et des réponses à ces problèmes. Or, il arrive que ces paradigmes soient purement et simplement éliminés et remplacés par d'autres, sans que l'on puisse tenir le nouveau paradigme pour une amélioration du précédent, puisqu'il est radicalement différent. On voit ainsi qu'aucune vérité n'est définitive, puisque tout est toujours susceptible d'être révolutionné.

Pour s'opposer à cela, on peut mentionner l'approche de Descartes, dans le Discours de la méthode. Sa démarche, fondée sur la rigueur de la preuve en mathématique, exige qu'on ne tienne pour vrai que ce qui a pu être prouvé d'une manière absolument indiscutable. S'il existe le moindre doute qu'une théorie soit fausse, alors il faut la rejeter. Évidemment Descartes parle des règles de méthode, et pas de la pratique réelle des scientifiques, qui comme tous les humains, peuvent toujours faire des erreurs : se précipiter, mal comprendre, etc. Néanmoins, ces règles de méthode révèlent directement la nature de la vérité : une fois que nous sommes certains d'avoir une vérité, nous sommes aussi certains que celle-ci ne va pas changer toute seule. Ce qui est vrai l'est définitivement. Alors que les erreurs sont fluctuantes, au gré des modes, de la pression sociale, etc.

  • La référence évidente à l'actualité

En ces périodes d'abondantes discussions sur les "fake news" et les "alternative facts", le sujet a une portée évidente. Il rappelle que la notion de vérité n'est pas susceptible de varier au gré de nos humeurs, que le fait de croire que quelque chose est vrai ne rend pas cette chose vraie pour autant. La vérité est un idéal, pénible à atteindre, mais sans lequel le travail patient des scientifiques n'aurait aucun sens.

Et d'un autre côté, le sujet peut aussi rappeler aux complotistes ou aux fanatiques à quel point il est nécessaire de sans cesse se remettre en cause, de ne pas se persuader trop vite d'avoir raison, car les nouvelles informations vont sans cesse remettre en causes nos premières convictions. Tout est fluctuant !

  • Découvrez le corrigé "à chaud" de Raphaël Enthoven sur ce sujet :

 

Sujet 2 : Peut-on être insensible à l'art ?

Par Cyril Morana

  • Les notions à aborder

C’est un sujet qui porte directement sur l’art et sa réception. Il est donc à rattacher aussi bien à la sphère de la Culture qu’à celle du Sujet : en effet, ce qui est notamment en jeu ici, c’est aussi bien, en creux, la finalité des œuvres d’art (si on ne peut y être insensible, c’est peut-être parce que justement elles visent à nous toucher), que la sensibilité du Sujet (la manière dont il perçoit, reçoit et est affecté par l’art et la beauté). La question nous invite à distinguer l’objet technique ou artisanal - inscrit dans la routine du quotidien, dont on n’envisage que l’utilité immédiate, un objet avec lequel on n’est que dans un rapport d’utilité et de service - et l’œuvre d’art, toujours surprenante et créatrice, dont la beauté nous affecte et ne nous laisse pas indifférent.

Par ailleurs, le "peut-on" du sujet peut questionner l’incapacité individuelle d’être sensible à une œuvre d’art (est-on humain si on n’est pas capable d’être ému par l’art ?), mais encore nous interroger sur le fait que, socialement, il ne serait pas permis d’être indifférent à l’art, cette pratique si universelle et sans doute aussi vieille que l’humanité elle-même. Qu’est-ce qui nous touche autant dans l’art ? Enfin, on peut également se poser la question des conséquences de la sensibilité à l’art : il s’agit alors d’interroger le pouvoir de l’art et des artistes sur l’individu, et plus globalement sur la société. Si nous sommes dans l’incapacité de ne pas être touchés par l’art, les artistes jouissent alors d’une puissance considérable sur nous, dont ils pourraient faire un usage aussi bien positif que négatif. Dans cette dernière condition, ne serait-il pas nécessaire de rester insensible à l’art ?

  • Les pièges à éviter

Finalement, la grande difficulté de ce sujet, c’est qu’on est immédiatement tentés de répondre "non" à la question, sans pouvoir envisager véritablement d’alternative. En effet, il nous semble tellement évident que le propre de l’art est de nous toucher, de nous affecter d’une manière ou d’une autre, que le contraire nous semble impensable. C’est l’un des pièges ici : il va falloir AUSSI envisager la possibilité d’être insensible à l’art puisque la dissertation est un exercice de progression de la réflexion qui ne saurait s’en tenir à une thèse unique, aussi bien argumentée soit-elle.

Par ailleurs, il conviendra de ne pas tomber dans la restitution pure et simple de topos sur la beauté, par exemple, bref de ne pas tomber dans le piège qui consiste à parler d’art sans répondre nettement à la question stricte du sujet. Ici, la notion de beauté ne devra être sollicitée que dans la mesure où le beau procure une sensation de plaisir et implique un jugement de goût. La question de la définition de la beauté, par exemple, et toute la complexité qu’elle implique, ne doit pas être le centre du propos…

  • Les auteurs qu'il fallait citer

Pour bien mettre en lumière ce qui dans l’œuvre d’art nous touche et ne nous laisse pas indifférent, on peut s’appuyer sur la distinction opérée par Alain, dans le Système des Beaux-Arts, entre le travail de l’artisan et celui de l’artiste. L’artisan se contente de produire et de reproduire des objets utiles, l’artiste est dans une démarche créatrice qui suscite la surprise chez son spectateur. En somme, il vise tout le contraire de l’indifférence et de l’insensibilité. De même, la beauté artistique vise l’agrément des sens, comme l’explique notamment Hume dans son Traité de la nature humaine. Mais être sensible à l’œuvre d’art, ce n’est pas simplement éprouver des sensations : avec Kant, on pourra montrer que le beau n’est pas l’agréable ; le beau est ce qui plaît universellement sans concept. Voilà pourquoi, face à l’expression de la beauté dans l’art, on ne peut rester insensible.

Notre sensibilité à l’œuvre d’art peut constituer un danger pour nous. Platon, dans le livre X de La République, met en garde contre la puissance manipulatrice de l’art et des artistes. Les spectateurs de la tragédie, par exemple, sont tellement bouleversés par ce à quoi ils assistent au spectacle qu’ils en perdent leurs valeurs et leur identité : par exemple, le mal mis en scène fascine au point de procurer du plaisir, un plaisir pervers, qui pourrait nous détourner de nos devoirs… Bref, il vaudrait mieux rester insensible aux tours de passe-passe des artistes, qui fabriquent des fictions peu recommandables et peuvent avoir sur nous un empire problématique.

C’est pourtant notre sensibilité à l’art qui rend possible la catharsis, cette purgation et cette purification dont parle Aristote, par laquelle l’individu évacue ses tensions et s’élève intellectuellement. On ne saurait dès lors rester insensible à l’art.

  • La référence évidente à l'actualité

Jeff Koons, plasticien assez familier de la polémique, a produit un "Bouquet de tulipes" en hommage aux attentats parisiens du 13 novembre 2015, qu’il a offert à la mairie de Paris. L’installation de l’œuvre a immédiatement suscité des réactions négatives. On accuse aussi bien l’œuvre elle-même que son objectif : elle ne correspondrait en rien à un hommage manifeste aux victimes, mais on soupçonne également l’artiste de vouloir créer une polémique opportuniste dans le but d’être toujours plus exposé médiatiquement. Cet exemple nous montre deux aspects du sujet : l’art ne laisse pas indifférent (l’admiration comme l’indignation), mais aussi, sans doute, la possible nécessité d’y rester parfois insensible. Toute provocation, aussi artistique soit-elle, ne saurait forcément et nécessairement donner lieu à réaction, faute de quoi, la sensibilité fait alors le jeu commercial et mercantile du provocateur !

  • Découvrez le corrigé "à chaud" de Raphaël Enthoven sur ce sujet :