13-Novembre : "même la nuit, la douleur nous réveille" encore deux ans après

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Sébastien Guyot, édité par R.Da. , modifié à
La famille de Gilles Leclerc, fleuriste de 32 ans tué au Bataclan le soir du 13 novembre 2015, revient sur la difficulté de vivre au quotidien un tel deuil deux ans après.
TÉMOIGNAGE

Deux ans après, la France se recueille en mémoire des victimes des attentats du 13 novembre 2015. Emmanuel Macron, entouré notamment de François Hollande et d'Anne Hidalgo, maire de Paris, préside lundi matin les cérémonies d'hommage sur les lieux des drames. Parmi les 130 victimes, se trouvait Gilles Leclerc, 32 ans, qui a été tué au Bataclan. La famille de ce fleuriste, passionné de musique, était restée sans nouvelles pendant plus de 48 heures avant d'apprendre la terrible nouvelle. Elle avait boycotté les cérémonies l'an passé, mais cette année, elle a décidé de s'y rendre.

Une dernière image. Malgré la colère et la souffrance, le besoin de recueillement a été plus fort pour les proches de Gilles. Et notamment devant le Bataclan, un lieu maudit qui aurait dû devenir un mémorial selon sa sœur, et non une salle de concert qui accueillait, il y a encore quelques jours, le groupe Trust. "Il n'en est pas sorti vivant. Cet endroit reste pour nous sa dernière demeure. Ça reste un endroit triste. Moi, les photos que j'ai, c'est mon frère par terre. Il m'est inconcevable de penser qu'on puisse y participer avec de la joie. C'est impossible…", explique-t-elle, la gorge nouée par l'émotion, auprès d'Europe 1. Car Alexandra, comme sa mère Nelly, a encore en tête ce selfie pris par Gilles avec sa petite amie, juste avant le concert, la barbe soigneusement entretenue et les yeux pétillants. Un cliché qui a longtemps circulé sur les réseaux sociaux.

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Le selfie pris par Gilles Leclerc, juste avant que le commando terroriste ne fasse irruption dans la salle de concert. ©DR 

La douleur au quotidien. "On est tous les jours dans la douleur, du matin jusqu'au soir, même la nuit, ça nous réveille. C'est impossible pour l'instant", confie de son côté Nelly. Et cette douleur inextinguible a été accentuée par la fermeture du magasin de fleurs de Saint-Leu-la-Forêt où elle travaillait avec son mari et leur fils, et qu'elle a été obligée d'abandonner. "Ça a duré six mois, et au bout de six mois je ne pouvais plus y aller c'était trop difficile", rapporte encore cette mère. "Je pleurais tous les jours, dans la réserve, devant les clients. Je ne pouvais même plus les regarder. J'ai été obligé d'arrêter, c'était la dépression qui arrivait à grands pas".

Aujourd'hui, Nelly vit toujours en région parisienne avec son mari. Leur fille Alexandra est en Bretagne et les aide comme elle peut. C'est à travers la musique, si chère à Gilles, qu'elle tente de se reconstruire. Coldplay est l'un des premiers groupes qu'elle est retournée voir en concert, non sans appréhension d'ailleurs. "C'est pas facile. À chaque fois que je vais dans un concert je pleure, parce qu'il me manque. Quand il y a une chanson un peu mélancolique, je pense tout de suite à lui. Par contre, aujourd'hui, je les vis pour deux !", assure sa soeur.

" Aujourd'hui, je m'aperçois qu'on n'est plus comme les autres "

"Des êtres extraordinaires". Des concerts auxquels elle assiste dans des salles fermées mais aussi au Stade de France, un lieu également marqué par les attentats du 13-Novembre, où elle s'est encore rendue vendredi soir pour le match de foot France-Pays de Galles. Car pour Alexandra, il faut continuer à vivre malgré tout. Deux ans après, résonnent plus que jamais les mots prononcés par ses psychologues au lendemain de l'attentat. "Elles ont dit : vous verrez, c'est difficile aujourd'hui, mais quand vous aurez fait votre chemin, vous deviendrez 'des êtres extraordinaires', c'est-à-dire que l'on est plus ordinaire. Je n'aime pas trop ce terme. Quand, on m'a dit ça, je me suis dit : qu'est-ce qu'elle me raconte ? Mais aujourd'hui, je m'aperçois qu'on n'est plus comme les autres".

Un message pour le président de la République. Ces proches sont aussi des victimes indirectes qui se sentent aujourd'hui délaissées par les pouvoirs publics, englués dans des démarches administratives sans fin, ou encore heurtés par la suppression de la Secrétaire d'Etat à l'Aide aux victimes sous l'ère Macron. Alexandra ne manquera pas de le dire au chef de l'Etat, si elle peut l'interpeller lundi devant le Bataclan.