Présidentielle : pourquoi Marine Le Pen a changé de stratégie

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Nicolas Beytout , modifié à
La candidate RN à l'élection présidentielle a changé de ton ces derniers jours en jouant la carte du dévoilement de son intimité et des confidences personnelles. Pour notre éditorialiste Nicolas Beytout, cette stratégie surprenante a pour objectif de rallier à sa cause les électeurs d'Éric Zemmour lors du second tour.
EDITO

Pour la première fois depuis le début de la campagne, un sondage a donné hier Marine Le Pen et Éric Zemmour à égalité, à 14% des intentions de vote pour le premier tout de l'élection présidentielle, ce qui les place en troisième position, derrière Valérie Pécresse (créditée de 16,5%) et loin derrière Emmanuel Macron, installé à 24%.

À vrai dire, ce résultat est à prendre avec des pincettes. À la fois parce que ce sondage Ipsos-Steria est le seul, absolument le seul, à donner cette photographie politique-là, et parce qu’il est accompagné d’un avertissement sur une possible marge d’erreur de plus ou moins 3%. Il n’empêche que cette égalité parfaite apparaît comme un symbole de ce qui se passe en ce moment à l’extrême droite. C’est ainsi que, ce week-end, les deux candidats rivaux tenaient chacun un meeting, Marine Le Pen à Reims et Éric Zemmour à Lille.

Les deux candidats ont parlé travail et pouvoir d’achat. Et tous les deux en ont profité pour, une fois de plus, se faire ouvertement la guerre puisque que leur détestation est devenue transparente et qu’ils en parlent sans se retenir. Éric Zemmour multiplie les tentatives de débauchages auprès de cadres du Rassemblement national. Et désormais, Marine Le Pen accuse directement le camp Zemmour d’abriter des nazis, des cathos traditionnalistes, des païens, tous d’anciens personnages sulfureux, dit-elle, du Front national. C’est vraiment la guerre, sauf qu’au-delà des coups et de la violence des mots, les objectifs des deux camps sont en réalité très différents.

Marine Le Pen joue la corde sensible

Les deux candidats ont en effet des électorats différents. Marine Le Pen agrège un vote plutôt populaire. De son côté, Éric Zemmour suscite un vote davantage composé de CSP+. Mais ça, c’est déjà connu. Ce qui l’est moins, c’est ce qui s’est passé dans la tête de Marine Le Pen depuis quelques jours. En fait, la patronne du Rassemblement national a donné un tour très nouveau à sa campagne qu’elle mène seule, sans se préoccuper des différentes influences de son parti.

Déjà, avant le week-end, elle avait indiqué, dans une interview au Figaro, qu’elle était "lassée du bruit et de la fureur", de "l’ivresse de la brutalité et de la polémique permanente". Et samedi, sur la tribune de son premier meeting de campagne conçu comme une "convention présidentielle", elle a joué la carte de l’intime, de la confession, essayant, dans une mise en scène très intimiste, de se dévoiler en tant que femme avec ses faiblesses, ses échecs et sa volonté.

Achever le dernier acte de la dédiabolisation

C'est une grande première pour quelqu’un qui avait, la plupart du temps, refusé de se confier, de se dévoiler. Mais c'est une stratégie mûrement réfléchie pour se présenter sous un jour humain, loin des polémiques et des mots qui blessent. Objectif : entamer le dernier acte de la dédiabolisation, cette stratégie entamée il y a plusieurs années avec l’élimination du vieux patriarche Jean-Marie Le Pen, évincé du parti qu’il avait créé. Cette stratégie a été entérinée avec le changement de nom du FN en RN.

Marine Le Pen a une analyse très précise de ce qui peut se passer aux deux tours de la présidentielle : selon elle, un électorat qui vote au premier tour pour un candidat radical peut voter pour un candidat modéré au second tour de l’élection présidentielle, mais l’inverse n’est pas vrai. Traduction : un électeur qui vote pour Zemmour le 10 avril pourra voter pour elle le 24 avril, au second tour, alors que l’inverse n’est pas vrai : ses électeurs, pas plus que la plupart de ceux de droite ne voteront Zemmour s’il arrivait à se qualifier.

Voilà le cœur de ce qui les oppose, ces deux faux-jumeaux de l’extrême droite. L’une croit qu’il faut ne pas heurter et rassembler pour avoir une chance au second tour ; l’autre veut au contraire cliver pour faire ce qu’il appelle l’union des droites. On verra vite, dans les prochains sondages, lequel des deux fait la bonne analyse.