Présidentielle : le FN qui drague les "Insoumis", une stratégie payante ?

Représentant 19,6% des voix, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont aujourd'hui convoités par Marine Le Pen.
Représentant 19,6% des voix, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont aujourd'hui convoités par Marine Le Pen. © PHILIPPE HUGUEN / AFP
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Axel Roux , modifié à
Confrontée à la nécessité de fédérer au-delà de son camp, Marine Le Pen multiplie les signes envers les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. 

En politique comme aux échecs, ceux qui traversent tout l'échiquier en diagonale passent généralement pour des fous. Alors que les partisans de la France insoumise ont jusqu'à mardi pour se prononcer sur leur vote au second tour, les lieutenants du mouvement martèlent leur leitmotiv. "Pas une voix ne doit aller au Front national", a répété mercredi Alexis Corbière, porte-parole de Jean-Luc Mélenchon. Un message percutant alors que le silence de son candidat, auréolé dimanche de 19,6% des voix, fait grincer des dents les tenants du "front républicain".

Une brèche dans laquelle le Front national s’est rapidement engouffré. Depuis sa qualification pour le 7 mai, la candidate frontiste redouble d’aménité pour tenter de mobiliser cet électorat contre la France supposée "soumise" d’Emmanuel Macron. Une récupération au-delà du sémantique, comme avec la diffusion d’un tract par des responsables FN censé illustrer les points communs (en réalité très exagérés) entre le programme de Jean-Luc Mélenchon et celui de Marine Le Pen. Autant d’appels du pied qui posent question : la drague frontiste aux "insoumis" peut-elle être payante ?

Non, les reports de voix risquent d’être marginaux

A ce stade de la campagne du second tour, difficile de dire si les clins d’oeil du Front national lui seront payants. Dans son enquête d’intention de vote publiée mercredi, l’institut OpinionWay indique que seuls 18% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon envisagent de voter pour Marine Le Pen. A l’inverse, une majorité d’entre eux (50%) déclarent être prêts à voter pour Emmanuel Macron, quand un tiers (32%) pourraient ne s’exprimer ni pour l’un, ni pour l’autre.

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Si "le risque de report (vers Marine Le Pen) est très marginal", expliquait lundi pour Europe 1 Edouard Lecerf, directeur politique et opinion de Kantar Sofres, la candidate FN peut en revanche espérer grappiller des voix. Dans son rolling quotidien pour Paris Match, l’Ifop note ainsi une progression de six points en deux jours (26,2% mardi, contre 20% la veille) des intentions de vote Le Pen chez les électeurs proche du Front de gauche, la coalition des partis antilibéraux derrière Jean-Luc Mélenchon. "Attendons de voir la suite de la campagne", nuance toutefois Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop, qui n’écarte pas, à l’avenir, une stabilisation du report des voix.

Oui, pour récupérer les votes protestataires

C’est une des fiertés revendiquées par les porte-paroles de la France insoumise. "Nous sommes les seuls à avoir convaincu des gens qu'il valait mieux voter pour nous que pour le FN", a déclaré mercredi devant la presse Alexis Corbière.

Le candidat de la France insoumise a en effet séduit des segments où le vote FN est d’habitude très fort, à l’image des chômeurs (31%, contre 26% pour Marine Le Pen), ou encore des jeunes (30%, contre 21% pour sa rivale). Malgré tout, il serait exagéré de dire que Jean-Luc Mélenchon a "siphonné" l’électorat frontiste. "La percée de Jean-Luc Mélenchon ne s’est pas faite sur le dos du FN", confirme Frédéric Dabi. "Entre 2012 et 2017, seul 1% des électeurs de Marine Le Pen a voté pour lui", indique le directeur général adjoint de l’Ifop. Pour qui Jean-Luc Mélenchon a surtout marqué des points dans l’électorat protestataire grâce à une campagne réussie.

Inféodées aux logiques de partis, rien ne dit cependant que ces voix resteront dans le giron de la France insoumise. "Dans ce sens, Marine Le Pen a tout intérêt à multiplier les signes pour les faire rentrer au bercail", résume Frédéric Dabi.

Non, ses réserves de voix sont d’abord à droite

A quoi bon passer son temps à parader si l’on se trompe de soupirant ? C’est en tout cas la question que l’on pourrait poser à Marine Le Pen au regard des études de porosité électorale. Entre les électeurs des Républicains et ceux de la France insoumise, le contraste est net. Près d'un tiers des électeurs de François Fillon (31%) se disent prêts à voter pour Marine Le Pen, contre moins de la moitié (43%) pour Emmanuel Macron.

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"Le vrai réservoir de voix du FN est à droite", assure Christèle Marchand, maître de conférences en sciences politiques à l'université d'Avignon et spécialiste de l’électorat FN. "En PACA, où le FN est très implanté, j’ai vu beaucoup d’électeurs de droite se décider au dernier moment dans l’isoloir. Si elle veut s’implanter, Marine Le Pen a tout intérêt à combler le vide" laissé par la défaite de François Fillon. "Il ne faut pas sous-estimer le traumatisme de dimanche dernier chez les électeurs fillonnistes", poursuit le sondeur Frédéric Dabi. Qui prévient : "Il y a un très fort sentiment de frustration vis-à-vis d’un '21-Avril de droite'." Reste à savoir si Marine Le Pen considère cet électorat comme déjà acquis pour ne pas lui porter plus d’attention.

Oui, pour être "crédible"

C’est l’une de ses stratégies de campagne pour le second tour : tenter de se mettre au dessus des partis. Pour cela, Marine Le Pen est allée jusqu’à se mettre en congé du FN pour "parler à tous les Français". Confrontée à la nécessité de rassembler au-delà de son camp, la candidate fait le pari de dépasser les clivages politiques traditionnelles pour agréger tous les anti-Macron.

"Marine Le Pen a axé sa campagne sur un choix de civilisation entre 'patriotes' et 'mondialistes'", rappelle pour sa part Jean-Yves Camus, directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean Jaurès, et chercheur associé à l'IRIS. "Pour être crédible dans ses nouveaux habits, il faut qu’elle incarne une image transpartisane." Qu’importe, au fond, d’être réellement écoutée pour faire mat.