EDITO - "L’assignation à transparence, une machine à dévorer les hommes et les femmes publics"

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Nicolas Beytout , modifié à
Alors que la Haute autorité pour la transparence a décidé mardi de transmettre le cas Delevoye à la justice, le nouveau "M. Retraites" du gouvernement a été suspecté lui aussi à partir de sa déclaration d’intérêts. Pour notre éditorialiste Nicolas Beytout, il s’agit là d’une dérive du "tout-transparence".
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>> Jean-Paul Delevoye n’en a pas terminé avec les conséquences de ses "oublis" de sa déclaration d’intérêts transmise à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Son cas a en effet été transmis à la justice par l’instance de contrôle. Et il n’a fallu que quelques heures pour que son successeur Laurent Pietraszewski soit lui aussi suspecté. Et pour que la course à la transparence montre ses limites et ses dérives, juge notre éditorialiste Nicolas Beytout.

Transparence, transparence, que ne fera-t-on pas en ton nom ? C’est le nouveau catéchisme, la nouvelle règle d’or pour faire de la politique. Et elle est une formidable machine à créer du soupçon. Tenez, un exemple : Mercredi matin, un frisson a parcouru les rédactions. On venait de découvrir sur la déclaration d’intérêts de Laurent Pietraszewski, le nouveau "M. Retraites", qu'Auchan lui avait versé plus de 71.000 euros il y a 3 mois.

Elle est sans limite, l’assignation à transparence

Instantanément, les réseaux sociaux, autrement dit la machine à broyer les réputations, s’est mise en branle : quoi ? Il était député et il a touché de l’argent d’une entreprise ? Quoi, il a effectué une mission pour Auchan qui lui a rapporté la somme énorme de 71.000 euros ? Pour deux mois de travail ? Scandale, conflit d’intérêts, âpreté au gain. Un déferlement d’accusations. C’est sûr, le nouveau secrétaire d’Etat ne passerait pas la journée.

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Sauf qu’il s’est expliqué, c’était dans le journal L’Opinion. Oui, et l’histoire est simple : avant d’être élu député, il travaillait chez Auchan. Il s’est fait mettre en congé, mais son employeur a fini par le licencier. Ce sont donc des indemnités de licenciement qu’il a touchées. L’inverse de ce que la rumeur avait colporté.

Donc, fin de l’épisode : il n’est pas soupçonnable ? Oh là, pas si vite ! Il faut encore vérifier, contrôler si tout a été déclaré. Car elle est sans limite, l’assignation à transparence. Et elle peut nuire gravement politiquement.

On exige trop de transparence

En témoigne le cas Jean-Paul Delevoye. Certes, il avait dissimulé des salaires et des missions, c’est vrai. Mais je crois qu’il faut distinguer. Il y a ce qui est interdit, par exemple de cumuler un salaire avec sa rémunération en tant que ministre. C’est ce qu’a fait l’ancien Haut-commissaire à la retraite. Faute. Ensuite, il y a ses liens avec l’univers de l’assurance privée, et un potentiel conflit d’intérêt puisque les compagnies d’assurance sont dans les starting-blocks pour créer des solutions alternatives de retraite (on appelle ça la capitalisation). Conserver ces liens et, pire, les garder secrets était très ambigu : il aurait dû les dévoiler et les rompre.

Mais pour le reste, où est le problème des autres mandats ou missions que collectionnait Delevoye ? Quand on dit : "Il avait 13 missions, non déclarées". Et alors ? La plupart étaient sans effet sur son job au gouvernement.

On exige donc trop de transparence. Ou plutôt, on la jette trop en pâture à une machine qui dévore les hommes et les femmes publics. A quoi sert la Haute autorité si elle ne vérifie pas les déclarations et se contente de les transmettre ? Est-ce qu’elle ne devrait pas tout contrôler, valider, expurger les éventuels conflits d’intérêt et garder sous le sceau du secret professionnel tout ce qui ne crée aucune difficulté ? Vous savez ce que l’on dit de quelqu’un qui manque de caractère, de personnalité, de force intérieure ? Qu’il est totalement transparent : est-ce vraiment ce qu’on veut comme dirigeants politiques ?

 

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