ÉDITO - "Est-ce que ce grand débat ne peut pas poser la question de la légitimité du président de la République ?"

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Jean-Michel Aphatie, édité par Grégoire Duhourcau
Jean-Michel Aphatie estime qu'Emmanuel Macron a pris un risque avec cette idée de grand débat pour répondre à la crise des "gilets jaunes". "Est-ce qu'il en a mesuré toutes les implications ?", s'interroge l'éditorialiste d'Europe 1.

Pour Jean-Michel Aphatie, le grand débat national "a été inventé, sans trop de réflexion, pour répondre à la crise des 'gilets jaunes'" et il pourrait s'avérer difficile pour Emmanuel Macron "de refuser ce qui pourrait émerger de manière majoritaire du débat" même s'il s'agit de "solutions auxquelles il ne croit pas".

"C'est une offre assez spectaculaire que fait Emmanuel Macron aux Français. C'est un débat global qui nous est proposé. On pourra parler de l'écologie, de la fiscalité, de l'immigration, des institutions politiques, de l'organisation de l'État. Aucune démocratie occidentale ne s'est jamais livrée à ce type d'exercice, à savoir convoquer tous ses citoyens pour débattre de l'ensemble des problèmes de la société. C'est quelque chose d'assez enthousiasmant.

"Grand débat" : les questions que pose Emmanuel Macron

En même temps, quand on lit la lettre, que l'on voit par exemple les questions que suggère Emmanuel Macron dans ce débat, on comprend bien les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Emmanuel Macron liste une trentaine de questions, ce n'est pas exhaustif. Il y en aura plus éventuellement si les gens le souhaitent.

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J'en ai pris trois pour illustrer mon propos. "Comment voudriez-vous que l'État soit organisé ? Comment pourrait-on rendre la fiscalité plus juste ? Que proposez-vous pour répondre au défi de l'immigration qui va durer ?", demande Emmanuel Macron. Des questions aussi générales sont écrasantes pour les citoyens. Ce n'est injurier personne de dire qu'elles les dépassent nettement.

"Le gouvernement est bloqué. Il ne peut rien faire sans susciter des oppositions qui l'empêchent d'agir"

Par exemple : "Comment faut-il que l'État soit organisé ?" Au fond, on n'en sait rien. L'impression que l'on a, c'est que l'État ne marche pas très bien et qu'il coûte très cher, donc il faut changer quelque chose. Mais quoi ? C'est aux responsables politiques de nous le dire. Or là, on inverse la proposition. Pourquoi Emmanuel Macron inverse-t-il la proposition ? Parce que le gouvernement est bloqué. Parce qu'il ne peut plus rien faire sans susciter des oppositions qui l'empêchent d'agir.

Ce que révèle en fait ce grand débat, c'est l'immense malaise politique et démocratique dans lequel nous sommes. Le débat va durer jusqu'au 15 mars. Emmanuel Macron dit : "J'en tirerai les conclusions qu'un mois plus tard, le 15 avril." Là aussi, ça paraît logique mais il faut essayer de concrétiser la situation.

Sur beaucoup de points, peuvent émerger des demandes de la part des citoyens qui sont contraires à la politique que le gouvernement mène depuis 18 mois. Ça peut être le cas sur les 80 km/h, l'impôt sur la fortune, le Smic, les retraites. Le gouvernement veut réformer les retraites, peut-être reculer l'âge de départ à la retraite et peut-être que les citoyens diront : 'Non, on ne veut pas.'

"Est-ce-que Emmanuel Macron a mesuré toutes les implications de ce grand débat ?"

Que va faire Emmanuel Macron dans ce cas-là ? Est-ce qu'il est imaginable qu'il applique des solutions auxquelles il ne croit pas. Non ! C'est stupide ! S'il n'y croit pas, il ne doit pas les appliquer. Mais a-t-il les moyens de refuser ce qui pourrait émerger de manière majoritaire du débat ? Autrement dit, quelle est la légitimité qui serait la plus forte ? Celle d'Emmanuel Macron élu en 2017 ou celle des citoyens réunis dans ce grand débat ? Est-ce que ce grand débat ne peut pas poser, à la fin des fins, la question de la légitimité du président de la République ?

Ce débat a été inventé, sans trop de réflexion, pour répondre à la crise des 'gilets jaunes'. Emmanuel Macron a décidé de le faire. Est-ce qu'il en a mesuré toutes les implications, notamment, le concernant lui, concernant sa légitimité pour résoudre la crise des 'gilets jaunes' ? Ce n'est pas sûr. C'est sans doute un beau débat qui s'annonce, mais plein de surprises."