La France a accusé mardi la Russie de mener une vaste opération d'ingérence numérique. 1:35
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avec AFP / Crédits photo : JAAP ARRIENS / NURPHOTO / NURPHOTO VIA AFP , modifié à
La France a accusé mardi la Russie de mener une vaste opération d'ingérence numérique en publiant de faux articles de grands quotidiens français hostiles à l'Ukraine. Selon la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna, il s'agirait d'"agissements indignes d'un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies".

La France a accusé mardi la Russie de mener une vaste opération d'ingérence numérique en publiant de faux articles de grands quotidiens français hostiles à l'Ukraine, des agissements relevant de la "guerre hybride" de Moscou et "indignes d'un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies". "Les autorités françaises ont mis en évidence l'existence d'une campagne numérique de manipulation de l'information contre la France impliquant des acteurs russes et à laquelle des entités étatiques ou affiliées à l'Etat russe ont participé en amplifiant de fausses informations", a dit la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna dans une déclaration lue par sa porte-parole. La ministre a ajouté que Paris était en "lien étroit" avec ses alliés "pour mettre en échec la guerre hybride menée par la Russie".

Une campagne qui a visé des médias et aussi le ministère des Affaires étrangères

La campagne a visé plusieurs sites de médias, mais aussi celui du ministère des Affaires étrangères et d'autres sites gouvernementaux, en créant des sites miroirs, a précisé la porte-parole Anne-Claire Legendre. Jusqu'ici, la France a suivi une doctrine prudente en matière d'attribution d'attaques numériques. "L'implication d'ambassades et de centres culturels russes qui ont activement participé à l'amplification de cette campagne, y compris via leurs comptes institutionnels sur les réseaux sociaux, est une nouvelle illustration de la stratégie hybride que la Russie met en œuvre pour saper les conditions d'un débat démocratique", a déclaré la ministre.

L'opération dévoilée par le gouvernement est plus précisément "la seconde phase d'une campagne déjà connue, mais avec des modes d'action plus sophistiqués destinés à contourner les contre-mesures et être moins visibles", explique à l'AFP une source sécuritaire impliquée dans le dossier. Il s'agit de l'opération Doppelgänger (dans certains folklores européens, un Doppelgänger est le double maléfique d'une personne), déjà documentée en 2022 notamment par l'organisation européenne EU DisinfoLab et le géant américain Meta.

Des médias français mais aussi allemands victimes de l'opération

Fin septembre, la maison mère de Facebook a annoncé avoir démantelé sur sa plateforme une opération " d'influence secrète" provenant de Russie pour amplifier la visibilité de ces articles issus de sites pirates, pour laquelle ses promoteurs, deux sociétés de conseil en marketing et technologie de l'information, avaient dépensé 105.000 dollars. "Meta espérait que son rapport mettrait fin aux opérations, ce ne fut pas le cas", explique la source sécuritaire.

Au moins quatre quotidiens français, Le Parisien, Le Figaro, Le Monde et 20 minutes ont été victimes de l'opération, mais d'autres grands médias ont aussi été visés, notamment allemands (FAZ, Der Spiegel, Bild, Die Welt...) Les hackers produisaient de faux articles sur une page en tout point identique à celles du site officiel de ces médias, mais avec un nom de domaine différent, par exemple .ltd au lieu de .fr. La copie est tellement poussée qu'un clic sur les liens hypertexte qu'elle contient renvoie sur les autres articles du vrai journal. La pratique est baptisée "typosquattage".

Des hackeurs russes "au début d'un processus d'industrialisation"

Ces faux articles sont ensuite diffusés via les réseaux sociaux en essayant de pousser leur viralité, qui semble rester faible pour l'instant. "On a trouvé des dizaines de noms de domaines achetés par les Russes pour faire du typosquattage. On n'a pas affaire à des gens qui agissent à dose homéopathique. Ils sont au début d'un processus d'industrialisation", explique à l'AFP la source sécuritaire. "On ne connaît pas leur objectif final. Est-ce que c'est du micro-ciblage de certaines populations ? Est-ce que c'est pour une campagne permanente de basse intensité ? Ou en vue d'une action massive à un moment précis ?", ajoute-t-elle, précisant que l'ensemble "est très bien coordonné et structuré".

La structure initiale de l'opération est baptisée RRN, du nom du site pro-russe RRN.world, pour Reliable Recent News (auparavant appelé Reliable Russian News), un site créé quelques mois après le début de la guerre en Ukraine qui a partagé de nombreuses intox, notamment sur une soi-disant mise en scène du massacre de Boutcha.

Production de dessins animés anti-Zelensky

Outre le typosquattage, elle se livre à d'autres opérations d'influence, comme la production de dessins animés anti-Zelensky ou de narratifs pro-russes et de désinformation via certains sites dits de "réinformation". Cette opération vient s'inscrire dans une pratique déjà longue et documentée d'actions d'influences menées par la Russie. Dans le cas de l'invasion de l'Ukraine, Moscou mise sur les fausses informations pour saper le soutien des opinions publiques occidentales.

Poutine "attend que les sociétés occidentales se fatiguent", estimait lundi un haut responsable européen, rappelant que "l'hiver dernier a été doux", mais que "si le prochain est dur" et que le prix du chauffage s'envole, cela pourrait "générer des tensions dans les sociétés".