Meurtres de journalistes au Mexique : un quotidien cesse sa parution

Le quotidien mexicain Norte de Cuidad Juarez a annoncé dimanche la fin de sa parution papier.
Le quotidien mexicain Norte de Cuidad Juarez a annoncé dimanche la fin de sa parution papier. © AFP
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Clémence Olivier avec AFP
Le quotidien mexicain "Norte de Ciudad Juarez", où travaillait une journaliste assassinée fin mars, a cessé son édition papier pour des raisons de sécurité.

¡Adios ! Avec ce mot, barrant sa Une, le quotidien mexicain Norte de Cuidad Juareza annoncé dimanche la fin de sa parution papier. En cause, des problèmes financiers mais surtout les agressions et les meurtres dont sont victimes les journalistes mexicains. "Les agressions mortelles contre les journalistes et l'impunité (de leurs auteurs) nous empêchent de poursuivre librement notre travail", écrit Oscar Cantu, le directeur du journal diffusé dans la ville de Ciudad Juarez (nord), dans son éditorial. "Cet exemplaire que vous tenez dans vos mains est la dernière édition imprimée publiée par Norte de Ciudad Juarez", ajoute-t-il à propos de ce titre existant depuis 27 ans, qui continuera néanmoins d'être diffusé sur le web.

Une journaliste de Norte de Ciudad assassinée. Car le Mexique n'en finit plus de voir ses journalistes tomber comme des mouches. Fin mars, Miroslava Breach, 54 ans, journaliste au Norte de Cuidad Juarez qui collaborait également au quotidien national La Jornada, a été abattue par un tireur devant chez elle dans l'Etat de Chihuahua (au nord), au moment où elle s'apprêtait à accompagner son fils à l'école. Le crime a soulevé une vague d'indignation au Mexique et auprès des organisations de défense de la liberté d'expression.

Onze morts en 2016. Et ce meurtre n'est pas une exception. En 2016, selon les chiffres de l'association de défense des droits de l'homme Articulo 19, 11 journalistes ont été tués, et 426 agressés, faisant du Mexique le troisième pays le plus dangereux au monde pour les journalistes après la Syrie et l'Afghanistan. En mars, la violence contre la presse a connu une augmentation spectaculaire, notamment dans l'Etat de Vera Cruz, à l'est du pays, un Etat dans lequel les gangs de drogues sont très puissants. Trois journalistes ont tués par arme à feu ce mois-là dans le pays, et un autre a été gravement blessé.

Autocensure. Tous ces journalistes ont un  point commun : celui d'enquêter sur les cartels de la drogue, la corruption ou la collusion entre le crime organisé et l'Etat. "Ceux qui dénoncent deviennent la cible", constate Geneviève Garrigos, la coordinatrice Amérique d'Amnesty international pour Europe1.fr. "L'Etat ne bouge pas et les enquêtes ne permettent pas de désigner les responsables. Les assassins des journalistes vivent dans l'impunité. Cela contraint certains d'entre-eux au silence, à l'auto-censure".

Un système de protection défaillant. Même le système de protection dont peuvent bénéficier les journalistes au Mexique est mis en question. "Miroslava Breach n'avait pas souhaité bénéficier de cette protection car celle-ci aurait été assurée par des personnes liées à son enquête. Elle était dans la défiance", précise la coordinatrice d'Amnesty international.

"Une société de violence". Selon Geneviève Garrigos, l'assassinat de journalistes s'inscrit dans un climat général de violence au Mexique: "On est passé de 33.000 assassinats en 2015 à 36.000 en 2016. Et cela s'ajoute aux disparitions", ajoute-t-elle. Depuis 2006, le Mexique s'est lancé dans une guerre contre le narcotrafic, avec pour conséquences une augmentation des règlements de compte et des violences dans le pays. Avec l'arrivée d'Enrique Peña Nieto au pouvoir en 2012, la situation ne s'est pas améliorée. "Il n'y a pas de réelle volonté politique de la part du président de mener des enquêtes et donc d'en finir avec l'impunité existante. Depuis des années, les associations de défense des droits de l'homme demandent des réformes, des lois contre la torture. Aujourd'hui, le système judiciaire est défaillant", insiste Geneviève Garrigos. "Quand, dans certaines régions, les citoyens ne peuvent pas faire confiance aux forces de l'ordre, cela montre bien qu'il existe de de la corruption et une collusion. Cela a pour conséquence de transformer la société en une société de violence".