Les questions que posent la condamnation (et la future incarcération) de Lula

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Clémence Olivier avec AFP , modifié à
La Cour suprême du Brésil a rejeté jeudi la demande d'habeas corpus de Lula, une mesure qui autorise tout condamné à rester en liberté tant qu'il n'a pas épuisé tous ses recours. L'ex-président devrait être incarcéré dans les prochains jours.

L'ancien président brésilien a vu son destin prendre une tournure amère jeudi. La Cour suprême du Brésil a donné son feu vert à l’incarcération de Lula, condamné à 12 ans et un mois de prison pour avoir reçu un luxueux appartement en bord de mer de la part d'une entreprise de bâtiment en échange de faveurs dans l'obtention de marchés publics. A 72 ans, l'icône de la gauche latino-américaine devrait être incarcérée dans les prochains jours. Un coup très dur porté à celui qui a présidé le Brésil de 2003 à 2009 et qui nie toute corruption. Surtout, une décision qui devrait bouleverser la campagne présidentielle brésilienne alors que l'élection doit se tenir en octobre car Lula était candidat. Mais que va-t-il se passer si l'ancien président ne peut plus se représenter ? Et est-ce les prémices d'une crise plus importante ? Décryptage avec François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche au CNRS.

Lula peut-il toujours être candidat ?

"Oui, il peut, même s'il est incarcéré", explique à Europe 1 François-Michel Le Tourneau. "Mais cela serait une stratégie suicidaire pour le parti des travailleurs (PP)". En effet, selon la loi actuelle, toute personne condamnée en deuxième instance ne peut se présenter à une fonction publique. Or Lula, ayant été condamné fin janvier en appel à 12 ans et un mois de prison, il ne sera pas autorisé à assurer son mandat.

Mais le parti a encore quelques mois pour affiner sa stratégie car le Tribunal Supérieur Electoral (TSE), qui doit analyser chaque candidature au cas par cas, ne le fera pas avant septembre. Ainsi, selon le spécialiste, "on pourra avoir quelques mois pendant lesquels Lula mène campagne depuis sa prison jusqu'à ce qu'on le remplace. De cette façon, le parti peut jouer la carte du prisonnier politique".

Quand va-t-il être incarcéré et dans quelles conditions ?

Selon de nombreux juristes, l'icône de la gauche brésilienne ne devrait pas se retrouver derrière les barreaux avant la semaine prochaine. Le mardi 10 avril est présenté comme la date la plus probable. Pour l'heure, aucune information n'a filtré sur le lieu d'incarcération ni sur les conditions de détention. "Il est probable qu'il soit un détenu VIP avec des conditions assez strictes comme pour Marcelo Odebrecht, le magnat brésilien du bâtiment impliqué dans un énorme scandale de corruption", prédit François-Michel Le Tourneau. "On ne sait pas vraiment mais il est possible qu'il ne soit incarcéré que pendant plusieurs mois de façon symbolique et qu'il bénéficie ensuite d'une semi-liberté". Il pourrait rejoindre notamment la prison de Papuda, près de la capitale Brasilia.

Est-ce que l'élection peut basculer si Lula n'est pas candidat ?

C'est trop tôt pour le dire. Dans les derniers sondages, Lula était crédité de plus de 30 % des intentions de vote, soit deux fois plus que ses plus sérieux concurrents, mais rien n'était joué, l'élection ayant lieu en octobre. "C'était trop tôt pour qu'il y ait un réel favori. Lula reste quelqu'un de très populaire mais il s'est mis à dos une parti de la classe moyenne qui l'avait porté au pouvoir", pointe le chercheur. Aussi, "on ne sait pas exactement quels seront les autres candidats. La situation politique est très ouverte".

Reste que si Lula est mis définitivement hors-jeu, cela laisserait le champ libre aux autres candidats de gauche actuellement dans son ombre ou à un candidat plus au centre, comme le gouverneur de Sao Paulo Geraldo Alckmin.  La rumeur enfle aussi autour d'une candidature de Joaquim Barbosa, ancien juge du Tribunal Supérieur Electoral . Il profiterait de l'absence de Lula pour faire converger une grande partie de la gauche et séduire aussi les centristes.

Des craintes. Mais dans ce pays qui a vécu sous le joug de la dictature militaire de 1964 à 1985, c'est le député d'extrême droite Jair Bolsonaro, grand nostalgique de cette époque, qui était pour l'heure crédité des plus fortes intentions de vote, derrière Lula. De quoi inquiéter certains Brésiliens. D'autant que le général Eduardo Villas-Boas, chef de l'armée brésilienne, avait publié mardi soir sur Twitter un message dans lequel il indique que les militaires "partagent le sentiment des Brésiliens qui répudient toute impunité". Même si elle ne fait pas explicitement référence à Lula, cette publication laisse entendre une rare prise de position de l'armée, dans un pays qui vivait encore sous le joug de la dictature militaire (1964-1985) il y a une trentaine d'années. "Certains Brésiliens ont peur que l'on s'éloigne de la démocratie", souligne le spécialiste. "Cette prise de position des militaires réveille de mauvais souvenirs".

Pour l'heure, "on est dans l'expectative", tempère toutefois François-Michel Le Tourneau. "Le monde politique ancien est fragilisé mais on ne voit pas de nouvelles idées, ni de nouvelles têtes émerger", constate-t-il. "C'est comme une telenovela. On ne sait pas ce que les scénaristes vont nous réserver, alors on attend avec hâte le prochain épisode".