"L’EI ne peut pas tenir deux places fortes en même temps"

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INTERVIEW E1 - Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient, fait le point sur l’avancée de l’Etat islamique en Syrie et en Irak.
INTERVIEW

A Palmyre, ville antique de Syrie, ils reculent. Mais en Irak, les djihadistes de l’Etat islamique ont gagné du terrain en prenant le contrôle de la ville de Ramadi, à une centaine de kilomètres de Bagdad. Entre revers et avancées, où en sont réellement les combattants de l’organisation terroriste ? Eléments de réponse avec Agnès Levallois, consultante spécialiste du Moyen-Orient et professeur à Sciences Po.

La ville de Palmyre est défendue par les forces de Bachar al-Assad, quels sont les enjeux pour le président syrien ?

Palmyre est importante pour les forces de Bachar al-Assad, puisqu’elle est à 250 km de Damas seulement. Le fait de combattre les djihadistes, c’est aussi une façon de montrer qu’il est efficace et de retrouver une certaine légitimité, qui lui faisait défaut ces derniers temps. C’est aussi une façon de dire à la communauté internationale : ‘vous voyez, moi je suis un rempart contre cette organisation, donc donnez moi des moyens et renouez avec moi’. Pour Bachar al-Assad et pour l’organisation Etat islamique, c’est une guerre de communication et c’est pour cela que les deux se retrouvent sur le terrain de Palmyre.

Que représente Palmyre pour les djihadistes de l’Etat islamique ?

Cet élément est très important pour eux, car ils savent très bien que toute la communauté internationale ne va parler que de Palmyre pendant quelques jours. En termes de communication, c’est très important. Palmyre est aussi très important d’un point de vue stratégique pour l’organisation : la ville crée un prolongement avec la région en Irak et en Syrie où elle est établie, les régions d’al-Anbar en Irak, et celle de Deir Ezzor en Syrie. Ça fait une continuité territoriale. De Palmyre, vous pouvez aussi aller vers la ville de Homs, qui est le verrou stratégique qui permet d’aller ensuite vers la Syrie alaouite.

Palmyre, Syrie - infographie

© S.Ramis/J.Jacobsen, jj/rim/pld / AFP

Dans le même temps, l’EI a pris la ville de Ramadi, en Irak…

On voit bien que sa stratégie c’est d’avoir le maximum de terrain possible. Mais l’organisation n’a pas la capacité de tenir deux places fortes en même temps. A Palmyre, cela ne marche pas. A Ramadi, elle a dû mettre des moyens beaucoup plus importants pour essayer de se maintenir. Le problème pour l’organisation aujourd’hui, c’est d’avoir suffisamment de forces pour occuper un terrain très important. Elle n’a pas des centaines de milliers de combattants, loin de là : on est à 10.000, 20.000 ou 30.000 combattants. Et un autre enjeu pour l’EI, en s’attaquant à Palmyre et Ramadi, c’est d’attirer de nouvelles recrues pour compenser toutes les pertes subies ces derniers temps.

Ramadi, en Irak - infographie

© INFOGRAPHIE, pld/jj / AFP

L’Etat islamique est-il affaibli ?

Il est difficile d’avoir une idée extrêmement précise. Ce que l’on peut dire, c’est que cette organisation a subi des revers extrêmement importants. N’oublions pas l’opération au cours de laquelle la coalition est arrivée apparemment à tuer Abou Sayyaf, qui était un des responsables de l’organisation, en charge des finances. C’était un homme très important et c’est une réussite pour la coalition. Cela peut déstabiliser l’Etat islamique, mais ce n’est pas pour autant qu’il va disparaître du jour au lendemain. Si on veut que l’EI disparaisse il y a un élément à prendre en compte : il faudrait un changement de régime en Syrie et que l’autorité de l’Etat puisse s’exercer sur l’ensemble du territoire. L’organisation vit et se répand parce qu’il y a une absence totale d’Etat dans des régions entières de la Syrie et de l’Irak.

La coalition anti-djihadiste, qui mène surtout des raids aériens, doit-elle passer à la vitesse supérieure ?

On sait que seules, les opérations aériennes sont insuffisantes, il faut absolument un appui au sol. Dans l’opération menée contre Abou Sayaf il y a quelques jours, il y a eu une opération au sol. Mais aujourd’hui, personne ne veut se retrouver pris dans un conflit au sol qui sera très meurtrier et extrêmement difficile. Je ne vois pas comment, politiquement, Barack Obama peut assumer une telle responsabilité. Quant aux forces armées locales qui s’occupent de ça, l’armée irakienne, l’armée syrienne, elles n'existent pas dans ces régions. Sans un règlement politique en Syrie et une remise en état de l’Etat irakien, on n’arrivera pas vraiment à régler cette question, et on risque d’assister à de nouveaux massacres.

Réécoutez l'interview d'Agnès Levallois sur Europe 1 : 


"L'organisation Etat islamique a subit des...par Europe1fr