La guerre d’Algérie est "le dernier grand tabou de l’histoire de notre pays"

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Antoine Cuny-Le Callet , modifié à
Alors que l’historien Benjamin Stora a remis mercredi son rapport sur les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie, son confrère Pascal Blanchard était l’invité d’Europe 1, jeudi. Le spécialiste de la colonisation affirme que de nombreuses questions mémorielles, sur ce que l’on appelle "les événements d’Algérie", ne sont pas réglées.
INTERVIEW

Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, l’histoire demeure une source de conflit entre l'ex-puissance coloniale et son ancien territoire. Alors que l'historien français Benjamin Stora a rendu mercredi son rapport sur la colonisation et la guerre d'Algérie, où il propose notamment la création d’une commission "Mémoire et vérité", le spécialiste de la colonisation Pascal Blanchard était l’invité d’Europe 1, jeudi. Selon lui, la France n’est toujours pas en paix avec son passé : "On a peut-être affaire au dernier grand tabou de l'histoire de notre pays."

Entre tergiversations et nostalgie

L'histoire commune entre les deux pays est "complexe, douloureuse, brutale", résume l'historien. Mais le traumatisme demeure présent des deux côtés, encore aujourd'hui. "Le fait que la France a perdu cet empire, a perdu la guerre d'Algérie, touche beaucoup de Français liés à cette histoire." En effet, selon le rapport de Benjamin Stora, sept millions de personnes vivant en France sont liés à l’histoire de l’Algérie : rapatriés, appelés du contingent, "harkis" ou encore immigrés algériens.

Les présidents français avaient jusqu’ici un rapport ambigu à l’Algérie : oscillant entre les tergiversations sur la question mémorielle et la nostalgie d’un passé idéalisé. "François Mitterrand a toujours eu une vraie problématique à regarder cette histoire en face puisqu'il en a été l’un des acteurs : ancien ministre de l'Intérieur, ministre de la Justice et ministre des Colonies."

"Tourner la page de l'histoire"

Mais selon Pascal Blanchard, un changement est en train de s’opérer. Car à l’inverse de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron est né bien après l’indépendance algérienne. "Cela change tout, parce qu'il n'est pas directement lié à cette histoire. Cela change tout aussi parce qu'il n'arrive pas avec une famille politique qui a les pieds et les mains liés à ce passé." L’historien rappelle que lors de sa campagne en 2017, Emmanuel Macron avait qualifié la colonisation de "crime contre l’humanité".

Explorant les pistes pour favoriser le rapprochement entre les deux nations, le rapport Stora propose, entre autres, le partage d'archives ou la restitution d'objets. Ces propositions sont approuvées par Pascal Blanchard : "La meilleure manière pour que la page de l'histoire se tourne, c'est de la regarder en face, d'en parler, de répondre à cette jeunesse qui se cherche dans cette histoire."