Invasion militaire russe : quel peut être le rôle d'Israël en Ukraine ?

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Vincent Hervouet
Le Premier ministre israélien Naftali Bennett a lancé samedi une médiation dans le conflit entre la Russie et l'Ukraine avec des visites à Moscou puis Berlin et un entretien téléphonique avec le président ukrainien Zelensky. L'éditorialiste international Vincent Hervouët livre son analyse du rôle d'Israël dans ce conflit.
EDITO

Médiation surprise du Premier ministre israélien dans le conflit ukrainien. Le Premier ministre israélien Naftali Bennett a lancé samedi une médiation dans le conflit entre la Russie et l'Ukraine avec des visites à Moscou puis Berlin et un entretien téléphonique avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Jusqu'à présent, il ne s'était pas joint au concert des condamnations internationales de l'invasion russe de l'Ukraine lancée le 24 février, en soulignant les liens solides qui unissent Israël à Moscou et à Kiev. L'éditorialiste international Vincent Hervouët livre son analyse du rôle d'Israël dans ce conflit.

Bennett l'équilibriste

"Le secret avait été bien gardé et on ne sait pas ce qui était le plus inattendu, que Naftali Bennett aille au Kremlin ou qu’il y aille le samedi, jour de shabbat. Le Premier ministre israélien est un juif observant, mais comme il s’agit de sauver des vies, il s’est autorisé à prendre l’avion ce jour-là. Il y a même vu une obligation morale : Israël a de bonnes relations avec la Russie d’où proviennent 20% des Israéliens et d'encore meilleures avec l’Ukraine où subsiste une importante communauté.

Israël a condamné l’invasion à l’ONU, mais refuse de se joindre aux sanctions. Bennett se garde de dénoncer l’offensive et laisse son ministre des Affaires étrangères s’indigner à sa place. C’est une position d’équilibriste. Tout contre l’Amérique mais pas contre la Russie. On pourrait dire une position souveraine, dictée par l’intérêt national : Israël fait la guerre à l’Iran en Syrie et elle a besoin de l’accord tacite des Russes qui y sont déployés en force. 

Le Premier ministre a donc passé trois heures avec Poutine. Et il a ensuite eu trois fois Volodymyr Zelensky au bout du fil. On ne sait pas trop ce qu’ils se sont dit. C’est prudent, c’est encourageant. Ce Bennett fait un sans faute. Il a reçu la bénédiction de tous les acteurs. Mais il reste modeste : il va continuer la médiation même s’il a peu d’espoir. C’est normal, il est Israélien. La guerre et la paix, il connait. C’est bien le premier dans ce dossier à prendre au sérieux la tragédie sans encourager l’émotion qui bouleverse les opinions publiques.

L’émotion, c’est la sympathie que suscite la résistance ukrainienne et l’angoisse que fait naître la guerre

La guerre réclame du sang-froid. Prenez Volodymyr Zelensky. Partout célébré comme un nouveau Churchill, ils ont des tas de points communs. Churchill aimait faire le spectacle. Zelensky aussi, c’est même son métier. Churchill a passé sa vie à écrire des discours improvisés. Il savait galvaniser les Britanniques en leur promettant de la sueur et des larmes. Zelensky prépare soigneusement des vidéos improvisées qui font battre le cœur de l’Ukraine. Mais il y a une grande différence entre les deux hommes.

Churchill a essuyé défaite sur défaite en Afghanistan, aux Dardanelles, avant de tenir tête à Hitler. Il savait ce qu’est capable de faire un canon. Il savait la différence entre vouloir et pouvoir. Alors que Zelensky fait du stand up en réclamant l’impossible. Il a voulu d’abord adhérer à l’Otan, ce qui aurait signifié la troisième guerre mondiale. Il veut intégrer l’UE tout de suite, et c’est pareil. Il veut l’interdiction de survol de l’Ukraine, et qui la ferait respecter sinon les Occidentaux ? Il réclame des avions de chasse...

L'Europe prête à livrer des Migs aux armées polonaises, bulgares et slovaques

Le haut représentant européen, Josep Borrell dit que l’Europe est prête à livrer des Migs en service dans les armées polonaises, bulgares ou slovaques. Aucun de ces pays n’a envie de donner le prétexte à la Russie pour lui déclarer la guerre. On se demande si Josep Borrell a conscience que le bras de fer avec la Russie n’est pas une bataille d’amour-propre comme il en a vécu toute sa vie de politicien ? Est-ce qu’il est prêt à prendre un marron dans la figure, à perdre ses dents, un œil, un fils ?

On comprend l’amertume de Zelensky, son angoisse, sa solitude. Il reproche à ses voisins de l’abandonner. C’est injuste, vu l’accueil des réfugiés, l’aide militaire, la dureté des sanctions. On en vient à se demander si quelqu’un parle un langage de vérité au président ukrainien. Est-ce que quelqu’un l’a mis en garde contre ses conseillers américains avant qu’ils plient bagages ? En dehors de Naftali Bennett le prudent qui connait la guerre, les sacrifices qu’elle impose, est-ce qu’il y a un adulte dans la pièce pour arracher aux Russes et aux Ukrainiens un compromis, une trêve, tant qu’il en est encore temps ?"